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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Entretien

Notes pour un entretien #1

Justine Lequette et Ferdinand Despy

En une nuit – Notes pour un spectacle
Justine Lequette, Eva Zingaro Meyer, Ferdinand Despy et Simon Hardouin s’imposent avec En une nuit - Notes pour un spectacle comme les figures phare de la jeune scène belge. À la manière de Pier Paolo Pasolini, i·els y déploient des « Notes » en vue de la mise en scène d’un spectacle qui ne verra pas le jour, et dont le point de départ est le corps de Pasolini retrouvé mort sur la plage d’Ostia le 2 novembre 1975.
Rencontre avec Justine Lequette et Ferdinand Despy pour parler de leurs relations à son œuvre.
© Annah Schaeffer

Comment Pier Paolo Pasolini est-il entré dans votre vie ?

Justine Lequette : J’ai 17 ans. J’entre dans l’œuvre de Pier Paolo Pasolini par le cinéma. Je découvre le film L’Évangile selon Saint Matthieu (1964). À cet âge-là, le film est long et éprouvant. Je ne comprends pas tout. Et pourtant, je suis fascinée. Je me souviens tout particulièrement des visages filmés par Pasolini. Cette façon de filmer me paraissait complètement dingue à l’époque. C’est ce mélange entre une esthétique très affirmée et une pensée complexe qui m’a donné envie de découvrir son œuvre.

Ferdinand Despy : Je m’en souviens parfaitement. J’ai 18 ans. Je découvre le film Ricotta sur la Passion du Christ (NDLR, le 3ème des 4 sketches du film Rogopag de Roberto Rosselini, Jean-Luc Godard, Pier Paolo Pasolini et Ugo Gregoretti). Alors que je pensais que l’œuvre pasolinienne était très sombre, le film est très joyeux ; je ris beaucoup. Son esthétique me séduit, notamment la reproduction des tableaux. Plus tard, sur les conseils d’Eva Zingaro Meyer, je lis les recueils Lettres luthériennes – petit traité pédagogique et Écrits corsaires. J’éprouve un sentiment de choc, comme si je comprenais autrement le monde qui m’entoure. Je me suis alors demandé : qui est Pier Paolo Pasolini ?
 

Quels lecteur·ice, spectateur·ice êtes-vous de l’œuvre de Pasolini ?

FD : Je dirais que Pasolini me met au travail, joyeusement : j’essaie de décrypter le sous-texte des images, des métaphores. D’où mon élan vers ses écrits théoriques qui me permettent de mieux saisir le contexte de son époque et ses enjeux. Je veux comprendre, alors je me documente, je cherche et je reviens à ses œuvres. Il y a quelque chose de très intempestif dans la pensée de Pasolini. Elle m’est très utile.

JL : Ce qui m’émeut le plus c’est certainement sa poésie, sa manière de regarder le monde, très singulière, et toujours politique. Elle m’est d’une grande inspiration. Elle m’emmène ailleurs. Elle me donne envie d’un autre état du monde. Et la poésie de Pasolini, je ne la trouve pas que dans ses recueils, mais aussi dans ses films et dans ses romans, dans sa façon de filmer, de construire le récit.
 

Selon vous, quel livre, quel film de Pasolini mériterait d’être connu de tous·tes ?

JL : Je dirais Pétrole, le roman qu’il est en train d’écrire au moment où il meurt. C’est incontestablement l’œuvre qui m’a le plus impressionnée. Formellement parce que Pasolini l’écrit sous forme de notes, comme la majorité de ses œuvres à la fin de sa vie. Cet inachèvement lui donne une liberté dans l’écriture qui est très perturbante parce qu’on est face à une manière inhabituelle de faire récit. Et puis, c’est une œuvre qui m’intéresse parce qu’elle approfondit la question des contradictions internes de l’auteur, des personnages et des formes.

FD : En pensant à votre question, je revois immédiatement les images du film Carnet de notes pour une Orestie africaine (1969) qui est tourné comme un repérage en Tanzanie et en Ouganda en vue de la réalisation d’un film qui ne voit jamais le jour, et inspiré de l’Orestie d’Eschyle. Il est profondément enraciné dans le réel. Pour autant, il n’énonce pas une vérité. Pasolini y accumule des notes sur les personnages, sur les lieux de tournage, auxquelles se mêlent ses réflexions, ses contradictions, divers points de vue et changements de cap. Le film contient des dizaines de films possibles.

Nous nous en sommes d’ailleurs inspiré·es pour créer le spectacle En une nuit qui est une accumulation de notes en vue de la mise en scène d’un spectacle.

Je pense aussi au Manifeste pour un nouveau théâtre, réédité en 2019. Je l’ai lu et relu. Bien que le théâtre qu’il décrit et critique, ne correspond pas complètement à ce qu’est le théâtre aujourd’hui, il y a quelque chose de très stimulant dans son affirmation : « le théâtre doit être ce que le théâtre n’est pas ».


Quelle place a la poésie dans votre vie ?

JL : Je lis un peu de poésie. Je n’en écris pas. D’une certaine manière, elle m’est étrangère. Mais d’une autre, elle m’est familière, parce que mon rapport à la poésie ne passe pas que par les mots. Pour moi, la poésie c’est la musique, le jazz, l’amour, la nature, les montagnes.

FD : Je ne suis pas un lecteur de poésie. Je devrais m’y intéresser davantage. Dans ma vie quotidienne, c’est peut-être la musique qui se rapproche le plus de la poésie. J’écoute la mélodie, les textes.
 

— Entretien réalisé par Sylvia Botella en septembre 2023

© Gloria Scorier