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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Entretien

Via Injabulo, c’est juste le plaisir !

Amala Dianor

Via Injabulo
La compagnie de danse Via Katlehong co-dirigée par Buru Mohlabane et Steven Faleni a ceci de particulier qu’elle invite régulièrement des chorégraphes internationau·les à travailler avec elle en Afrique du Sud. En 2021, elle invite les chorégraphes et danseurs Marco da Silva Ferreira (Portugal) et Amala Dianor (France) issus des danses urbaines aux accents afro-américains, du hip-hop et de la danse contemporaine. Dans Via Injabulo, ils nous plongent dans la moiteur du pantsula, la danse des townships et la musique amapiano.
Entre confidences et envolées, Amala Dianor, revient sur son expérience. Et sur la pièce de danse rivée sur la jeunesse sud-africaine et l’avenir. Grisant.
© F. Couvreur

Comment avez-vous travaillé concrètement avec la compagnie Via Katlehong en Afrique du Sud ?  

Marco da Silva Ferreira et moi avons été amenés à travailler séparément en Afrique du Sud. À cause du variant sud-africain, j’y ai travaillé de manière sporadique. Ce qui n’était pas évident. Il fallait à chaque fois retrouver l’énergie, la précision du mouvement.  J’ai travaillé avec elle une première fois en octobre 2021, et une deuxième fois en janvier 2022.  Marco a travaillé avec elle tout le mois de février 2022. Puis, j’y suis retourné en mars, avril, mai et juin 2022. Ensuite, nous nous sommes retrouvés à Porto, pour finaliser la pièce. Nous avons fait une pré-première à Amsterdam avant la première au Festival d’Avignon.  
 

Comment avez-vous jeté les conditions d’une danse commune ?

Je suis arrivé avec ma boîte à outils de c.h.o.r.é.g.r.a.p.h.e. (rires) Puis, très vite, j’ai compris que l’envie était ailleurs. Au-delà du pantsula, le directeur artistique de la compagnie Buru Mohlabane voulait faire résonner l’amapiano qui est l’une des musiques les plus populaires en Afrique du Sud, entre house, lounge, jazz et soul. Il m’a amené dans les soirées amapiano : j’ai respiré, transpiré, j’ai vécu tout ce qu’on peut y vivre sur cette musique. J’en suis tombé follement amoureux. Elle m’a beaucoup inspiré au moment de créer Via Injabulo qui raconte aussi tout un pan de la jeunesse sud-africaine.

J’appartiens à la deuxième génération des danseur·ses hip-hop en France. D’une certaine manière, on peut dire que le hip-hop français a été importé des États-Unis. A contrario, l’Afrique du Sud a su créer son propre style de hip-hop, son propre style de vêtement, son propre style de musique. Tout un univers complètement underground et complétement africain. Au-delà de la richesse et de la complexité du pantsula qui est une danse très tonique, très énergétique, ce qui est intéressant en Afrique du Sud c’est qu’on s’invente !
 

Lorsqu’on regarde Via Injabulo, on y voit bien sûr le pantsula mais aussi d’autres danses communautaires. Le spectacle représente l’aboutissement de cette expérience unique : votre rencontre avec Marco da Silva Ferreira et la compagnie Via Katlehong. Comment définissez-vous la danse que l’on voit dans le spectacle ?

De notre rencontre est née une danse originale, très riche de mouvements, qui est pour moi tout simplement de la danse contemporaine. (rires) L’hybridation, c’est l’ADN de la danse contemporaine.
 

Comment cette expérience se prolonge-t-elle aujourd’hui dans votre travail de chorégraphe ?

L’expérience que j’ai vécue en Afrique du Sud m’a projeté dans mon adolescence. À l’âge où j’éprouvais simplement le bonheur de danser, de retrouver mes ami·es. À cette époque-là, la culture hip-hop était underground. Tout ce qui m’importait, c’était échanger avec les autres, confronter nos différents backgrounds.

Tout ce que j’ai vécu en Afrique du Sud m’a ramené à la simplicité : partager des purs moments de danse, écouter de la musique, s’amuser. J’ai réalisé que j’étais devenu trop cérébral, trop conceptuel. Que j’étais devenu un chorégraphe académique. J’avais oublié l’essence même de ce qui m’a amené à danser.

Quel est l’héritage du hip-hop ? Comment la nouvelle génération de danseur·ses se l’approprie-t-il ? La capacité des danseur·ses sud-africain·es de s’inventer m’inspire profondément. I·Els ont créé leurs propres esthétiques. I·Els me donnent envie de revenir à mon ADN : la culture urbaine !

Dans ma prochaine création Dub qui sera créée au Festival de danse à Cannes, il y a du pantsula mais aussi toute sortes de danses populaires et undergrounds. J’y donne la parole à la nouvelle génération de danseur·ses du hip-hop et de la danse électro qui est l’une des premières danses urbaines à avoir vu le jour en France. Cocorico ! Elle est inspirée du voguing, du locking, de la house et du popping. Dub mêle beaucoup d’esthétiques de la culture sonore et de la danse. J’aurais adoré retravailler avec la Compagnie Via Katlehong mais c’est impossible. Elle tourne beaucoup avec Via Injabulo. (rires)
 

Est-t-on toujours nomade quand on danse ?

La manière de nous structurer en danse nous ancre. Mais à chaque fois que nous rencontrons d’autres danseur·ses, d’autres chorégraphes, nous nous déplaçons, nous sortons de notre zone de confort, nous apprenons de nouvelles manières de travailler avec d’autres. Ce qui nous fait voyager et se découvrir autrement. Nous sommes plus disponibles aux groupes qui existent à travers les individus. On est totalement nomade quand on est danseur·se !
 

Enfin, pourquoi découvrir Via Injabulo ?

Via Injabulo, c’est juste le plaisir ! C’est un spectacle pour guérir, sortir des maux, prendre du plaisir en dansant, partager, voyager. C’est un pur moment de bonheur, de danse, de musique, de joie. Pour toutes ces raisons, il faut venir voir Via Injabulo. (rires)
 

— Entretien réalisé par Sylvia Botella en septembre 2023

© Gloria Scorier