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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Entretien

La danse sans équivalent

Ayelen Parolin

Zonder
Dans sa nouvelle création Zonder, la chorégraphe Ayelen Parolin confirme son enracinement dans sa pièce précédente SIMPLE. Elle transcende ici la danse presque dada, la polyphonie et la dérision d’une manière inédite et envoûtante. Un questionnement galvanisant et souriant sur la condition humaine « bizarre ». Et le temps qui passe, incertain.
© Stanislav Dobak

La phrase de Richard Sennett pourrait être la phrase clé de votre recherche : « faire, c’est penser ».

J’ai toujours le sentiment que c’est à conquérir : « ce que sait la main » ! Et pas l’inverse. C’est la raison pour laquelle, lorsque nous avons débuté le travail de Zonder, nous avons tout simplement mis de la musique, celle que nous aimions, la pop, et nous avons dansé. Le corps est à son comble dans la spontanéité. C’est une manière aussi de se défaire de la prétention.

Zonder prend son origine dans la pièce antérieure SIMPLE. Les deux pièces sont à la fois des mises en danse et des mises en récits de la figure de l’idiot.

Souvent, lorsque j’achève une pièce, j’éprouve la nécessité d’emprunter un chemin opposé. Après SIMPLE, c’était différent : comment continuer dans la même direction et aller ailleurs ? Dans Zonder, je suis comme l’enfant qui creuse à la main un trou de plus en plus grand. SIMPLE, c’est l’homme qui échoue. Zonder, c’est l’homme qui fait quelque chose, qui s’occupe.

Quelle est la part d’écriture et d’improvisation dans la construction de Zonder ?

La pièce est à la fois écrite et extrêmement spontanée. Dit simplement, la spontanéité a toute sa place dans l’écriture. Ici, l’écriture n’est pas un décompte : 1, 2, 3, 4… Il y a quelque chose du relais. Une sorte d’organicité écrite qui permet de jouer au présent.

Dans Zonder, plus que dans vos pièces précédentes, on a l’impression de voir des tentatives de duo.

Zonder explore peut-être de manière plus aboutie la relation à l’autre. Ici, même si c’est abstrait, je me donne la possibilité d’expérimenter des surfaces de contact plus intimes. Je travaille constamment sur la contradiction et l’ambiguïté, l’envie et l’incapacité, le vouloir et le pas pouvoir. La situation est à tout moment susceptible d’être retournée. Voilà sans doute la vraie réponse dans la plupart de mes pièces : le doute. L’irrésolu m’intéresse ! C’est là que se loge précisément l’ambiguïté de l’humain.

Zonder témoigne d’un magnifique travail de composition plastique. Le travail sur les arts plastiques représente-t-il un défi nouveau pour vous ?

Complètement ! Il est très différent de travailler avec un tapis de danse et un volume. C’est un défi permanent, une contrainte, un autre outil, un partenaire très puissant. S’appuyer sur l’élément décor, c’est une gageure. La scénographie peut se retourner contre vous, occuper trop l’espace, mobiliser l’attention. J’ai dû l’intégrer au sens propre comme au figuré.

Concrètement, comment avez-vous collaboré avec la scénographe et costumière Marie Szersnovicz ?

Très simplement. Nous avions déjà collaboré sur ma pièce précédente SIMPLE : les costumes, les accessoires, la toile de fond. Pour Zonder, nous avons imaginé ensemble la scénographie avant de débuter le travail de répétition. Nous avons beaucoup discuté ensemble, ainsi qu’avec l’équipe des ateliers de construction du Théâtre National Wallonie-Bruxelles. Le premier jour de répétition, tout était déjà là. Bien sûr, la scénographie a évolué au fur et à mesure du travail. Sincèrement, je ne sais pas si j’aurais pu l’intégrer autrement.

Comment se porte la danse aujourd’hui en Belgique ?

C’est un beau moment, me semble-t-il. Les chorégraphes sont très nombreux·ses. I·Els ont des grammaires chorégraphiques extrêmement riches et diverses. J’ai le sentiment que le secteur de la danse en Belgique francophone est en pleine mutation : il se transforme, se nourrit de tout ce qu’il se passe.

Pour moi, la danse, c’est le miroir de la société. Bien sûr, les questions d’identité – identité de genre et/ou d’expression –, les luttes ont toujours été très présentes dans la danse. Mais j’ai le sentiment que depuis quelques années et sous l’impulsion des mouvements sociaux, les chorégraphes les explorent de plus en plus profondément. C’est magnifique d’observer les liens qui existent entre le réel et la manière dont les artistes s’investissent dans leur travail, leurs sujets.

Quels sont les artistes qui vous inspirent le plus aujourd’hui ?

J’aime beaucoup l’œuvre de Francis Alÿs. Bien sûr, son travail n’est pas à proprement dit « chorégraphique » mais il contient du mouvement. Notre regard balance toujours entre « le dérisoire » et « le sensible ». Dans ses œuvres, il faut voir comment une voiture monte et retombe, monte et retombe, monte et retombe. Ou comment un chien tressaille en dormant, involontairement, inconsciemment. Pour moi, c’est la plus belle des danses, hallucinante. On ne s’y attend pas. Rien n’est voulu. Il est là le défi de la danse.

— Entretien réalisé par Sylvia Botella en novembre 2023.

© Gloria Scorier