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Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Intention

Black Clouds

© Andrea Dainef

"Mon envie de créer le spectacle Black Clouds remonte à mes premières expériences théâtrales en Afrique de l’Ouest, au Sénégal. J’y ai mené des ateliers et rencontré des acteurs. L’un d’eux, « Kabila » El Hadji Abdou Rahmane Ndiaye a ensuite joué dans mon spectacle Exils (2012).

L’équipe de Black Clouds s’est constituée autour d’une distribution mélangée, un échantillon de nos différences qui peut remettre en question les clichés établis sur les relations Nord-Sud. Dans cette optique, je voulais créer un spectacle dont la production intègre la possibilité d’être monté en Europe mais aussi sur le continent africain.
Black Clouds, ce sont quatre personnages, quatre destins singuliers qui vont s’entrecroiser et  se répondre, dans une forme frontale qui nous renvoie à un dispositif de conférence.

Comme point de départ il y a eu la découverte de Saly, une sorte de Côte d’Azur africaine où les occidentaux font fonctionner le business du tourisme et s’offrent une illusion de luxe voire de séduction en ayant des relations amoureuses avec de jeunes locaux.

En contrepoint, l’existence des « brouteurs », ces jeunes hackeurs africains qui arnaquent et manipulent des occidentaux par le biais d’internet, en usurpant des identités et développent de fausses relations d’amour ou envoyant des pseudo-messages de détresse. Se considérant comme des « robins des bois » du Net, ils disent vouloir ainsi rendre à leur continent l’argent de la colonisation.

Sur le fil d’une relation virtuelle à deux voix, entre Valérie et Kabila, deux personnes qui ne se connaissent pas au début du spectacle, vient aussi se greffer l’histoire d’Aaron Swartz, un jeune génie de la programmation qui conçoit une sorte de Wikipédia à 12 ans. Très vite il se transforme en activiste, car il est convaincu de l’importance de l’accès à la connaissance  pour tous. Une fois entré à l’université, il pirate une base de données scientifique dont l’accès est payant en dehors du campus afin de permettre à chacun d’y accéder gratuitement. A la suite de ça, le FBI commence à le persécuter et le poursuivra jusqu’à provoquer son suicide. L’histoire d’Aaron résonne dans mon esprit comme la démonstration d’une opportunité que nous, trentenaires, avons vu naître et s’éteindre : la libre circulation des données et un internet libre.
Aujourd’hui nous savons que le libre accès à la connaissance est resté une utopie et que la circulation de l’information est dominée par le leadership des grandes institutions du net. L’accès à l’information représente un enjeu de taille pour le Nord mais également pour les pays du Sud dont tout le continent africain. Et la profonde fracture numérique entre le Nord et le Sud accentue encore les inégalités. Cette question sera abordée par les discours de Steve Jobs et de Thomas Sankara datant tous deux de 1984, qui s’entrecroisent de part et d’autres du plateau en préambule du spectacle.
La fracture numérique sera aussi représentée par la coexistence de deux autres personnages sur le plateau : celle de François, un jeune homme persuadé qu’il peut atteindre l’immortalité en « robotisant » son corps et en enregistrant toutes ses données physiques sur ordinateur, et celle de Fatou l’africaine qui règne sur les décharges où arrivent les composants d’ordinateurs devenus obsolètes en Occident.
Avec l’aide des enfants, elle brûle les câbles électriques pour en récupérer le cuivre. Dans la fumée des rebus, le fantôme de François, persuadé de son immortalité numérique, a laissé comme une dernière empreinte…
Entre ici et là-bas, rêve et réalité, une connexion peut-être rêvée peut s’établir entre ses êtres…"

Fabrice Murgia

© Gloria Scorier