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Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Blancs-becs et petit bagage

Le Raoul Collectif

Notre travail se développe par couches, des couches de sens et des trajectoires qui se répondent. Nous fonctionnons très fort par intuition, et nous suivons des pistes. Nous avons fait
Le Signal du Promeneur, puis nous sommes partis au Mexique pour rencontrer ce personnage extraordinaire, chercheur de ptérodactyles que nous abordions dans le premier spectacle. Cela nous a conduits à rencontrer les indiens Huichol, et leur vision du monde alternative. Et toutes ces aventures vécues avant le deuxième spectacle Rumeur et petits jours continuent à nourrir nos réflexions pour le troisième.

Ici il y a une porosité ; nous sommes allés deux fois au Bénin. La première fois, c’était pour participer à un festival de Grios (qui sont les conteurs africains). Les conteurs sont porteurs d’une histoire collective qui crée du lien entre les différentes communautés et les différentes générations. Dans ce spectacle nous interrogeons aussi cette position de conteur qui trouve écho à notre façon de faire du théâtre.

La deuxième fois, nous avions entamé une réflexion sur la musique et les origines du jazz.  On y allait pour rencontrer une famille de musiciens béninois avec laquelle Laurent Blondiau (le trompettiste de jazz) nous a mis en contact. Pendant une semaine, on a travaillé avec eux plus ou moins cinq heures par jour et nous avons évidemment vécu un choc musical. Il y avait là une communauté vaudou, qui pratique de façon virtuose une musique et des rythmes qui nous sont complètement étrangers. Elle ne s’écrit pas, donc comment entrer dedans, comment en sortir ? Nous étions comme des blancs-becs, avec notre petit bagage, mais sentant que quelque chose d’extraordinaire était en train de se passer.

Du côté fictionnel, il y a cette idée d’un groupe de musiciens qui nous ressemble et qui se réunit pour répéter et produire quelque chose ensemble.
En tout cas peut-être qu’une cérémonie va avoir lieu qui marque la fin de quelque chose. Une fin qui est aussi le début d’autre chose. On est là, dans ce moment fragile d’« entre-deux », le moment juste avant le début d’une cérémonie qui évoque aussi celui d’un interrègne. Au centre de la répétition, il y a le standard de jazz A Night in Tunisia de Dizzy Gillepsie, mais couplé avec des rythmes du Bénin.

Le mélange de ces deux choses est aussi historique. Les peuples africains réduits en esclavage et emmenés en Amérique ont emporté leur propre culture musicale, ces réminiscences de sons et de rythmes. On peut de la sorte faire remonter les origines du jazz à la musique traditionnelle de l’Afrique de l’Ouest, et particulièrement a ce qu’on appelait le Royaume du Dahomey (plus ou moins le Bénin aujourd’hui) et qui était la principale source pour les trafics d’esclaves.

 

— Propos recueillis par Cécile Michel le 11 février 2020

© Gloria Scorier