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Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Y a pas d’âge pour en parler

Interview croisée / Peggy Lee Cooper, La Veuve & Daphné Huynh

© Laetitia Paillé

 

Peggy Lee Cooper
À la demande du Théâtre National j’ai réfléchi à ce qui était proposé aux enfants s’agissant de différence, de genre et de féminisme. Les Anglo-Saxons sont bien plus avancés que nous sur ces sujets et ils les traitent probablement de manière plus frontale. En cherchant, je n’ai pas trouvé de lecture intéressante en francophonie, rien de ce que j'aurais bien voulu lire ou entendre. Je me suis dit que si ça n'existait pas, il ne tenait qu'à moi de l'écrire !

Comme on nous a proposé de créer trois épisodes dans le cadre de VOIX.E.S, j'ai demandé à trois équipes différentes de me rejoindre : une menée par La Veuve et Colette Collerette, une autre par Daphné Huyn, King Baxter, Edna Sorgelsen et The Flying Willy, et j'ai écrit la troisième. Chaque équipe assurait l’écriture d’un conte et je chapeautais de très loin, le but étant de leur donner carte blanche et d’encourager des façons de travailler variées.

Pour ma part j'étais absolument seule à l'écriture. Loulou Canard, c'était vraiment l'histoire que j'aurais voulu entendre dans mon enfance et que je n'ai pas entendue. J'avais envie d'écrire un conte d’Andersen vu par une travelotte, c’est pourquoi j'ai conservé le même arc, avec un personnage non-genré. Mais musicalement, ma fable est truffée de petites références iconiques dans le cabaret comme l'intro du Big Spender ou I am what I am.

C’est très intéressant de voir qu’en voulant se réapproprier parmi les histoires les plus iconiques de la culture hétérosexuelle, on lui redonne une universalité. Le but est de faire comprendre aux gens que notre combat et les choses par lesquelles nous passons sont similaires aux leurs. Finalement toutes les minorités ressentent les mêmes choses.

La Veuve
Pour rejoindre mon équipe, le choix s'est rapidement porté sur Colette Collerette, performeuse burlesque au Cabaret Mademoiselle, avec qui j'ai l'habitude de travailler en bonne synergie sur l'écriture. Dans cette optique de parler de choses qu'on n'aborde pas forcément avec les enfants, nous nous sommes questionnées sur les messages que l’on aurait voulu recevoir dans notre enfance. De là notre choix de travailler sur la notion d'inclusivité et de normalité. Qu'est-ce que ça veut dire être "normal" ? Qu'est-ce qu'un enfant perçoit être la bonne manière d’être ? Que peut-on déconstruire ? Quelles clés de compréhension peut-on amener ? Le message qu'on avait envie de délivrer c'est qu'être "hors normes" n'est pas forcément quelque chose de négatif.

En interrogeant nos imaginaires, nous avons décidé de nous inspirer librement du Alice de Lewis Carroll et de passer de l'autre côté du miroir où les choses sont folles et absurdes. Sans vouloir copier-coller, on s'est inspirées de peintres qui nous parlaient, avec l’idée de rentrer dans un tableau, et de cette citation de Van Gogh : "la normalité est une route pavée : on y marche aisément, mais les fleurs n'y poussent pas". C’est ce qui a fait germer chez nous la trame des Aventures de Loulou canard. On a pensé l'histoire à deux cerveaux et ensuite je me suis attelée à la mise en mots pure et simple. C'est un exercice que j'aime beaucoup, Colette un peu moins.

Daphné Huynh
Pour notre épisode intitulé Bulles et châtiment, c’est the Flying Willy qui a eu l'idée de la bulle : il s'est dit que c'était une bonne métaphore de la surprotection des personnages féminins.

Nous avons écrit à quatre, aucun d'entre nous n'avait écrit à plusieurs auparavant. L’organisation a évolué. Nous avons commencé par des rendez-vous en ligne pour tracer les grands axes de notre histoire. Nous voulions absolument des animaux pour que tout le monde puisse s'y reconnaître et, petit à petit, nous avons opté pour un monde assez quotidien. Ensuite nous avons rassemblé nos idées, les noms des personnages, etc. Et à partir de là nous nous sommes donnés des devoirs : pour la fois d’après, il fallait écrire la première partie de l'histoire, que l'on comparaît ensuite avec l'histoire des autres. C'était notre processus créatif et on a beaucoup réfléchi et ri !

Nous avons puisé de l’inspiration dans des œuvres comme Shrek et l'Âge de glace dans ces dessins animés qui s'adressent aux enfants comme aux parents : ils font rire les plus jeunes même s’ils ne comprennent pas toutes les références et les adultes peuvent aussi les trouver drôles. On a également pioché dans les contes classiques comme le Chaperon rouge ou Blanche-Neige. Nous voulions aussi apporter des notions liées au consentement, c'est important d'en parler dès le plus jeune âge.

PLC
Les trois contes ont des couleurs complètement différentes. Le projet de Daphné est très dynamique et « cartoon », moi je suis dans la fable classique et pour celui de La Veuve et Colette, on plonge dans un univers surréaliste, constamment un pied dans le rêve.

Le format est différent par rapport aux spectacles de cabaret, très éphémères. Un spectacle ne se produira plus, il n'existe plus que dans la mémoire des gens tandis que le podcast reste. C'est une création qui, une fois terminée, commence seulement à vivre.

DH
Le podcast est très à la mode en ce moment et la programmation de VOIX.E.S permet peut-être de faire découvrir ce format à un public qui n'y est pas forcément habitué. Mais plus qu'un podcast ces pièces sont des romans audio, sur le modèle de ceux que l'on avait enfant avec le disque et le livre qui l’accompagne.

LV
Pour ma part, c'était à la fois un exercice de style et une nouvelle découverte. Un plaisir, en ces temps troublés, d'avoir quelque chose de créatif sur lequel travailler et qui est un corollaire de notre métier habituel. En nous encourageant à collaborer en équipe sur un projet commun on obtient un résultat pluriel : on peut l'écouter, le réécouter et se projeter à travers les questions qui sont posées aux enfants à la fin des histoires.

PLC
Beaucoup de débouchés sont possibles à partir de ces créations, depuis l'éditions de livres jusqu'à des lectures en présentiel, devant des enfants, écrire la suite, l'envoyer aux écoles, aux maisons Arc-en-ciel, par exemple. Les retours sont très bons et le format est incroyablement bien adapté aux enfants, surtout si on a envie de les éloigner un peu des écrans. Avec, en prime, la possibilité d’ouvrir le débat entre générations.

© Gloria Scorier