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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Entretien

Je suis née pour te connaître, pour te danser, Liberté !

Ayelen Parolin

WEG
WEG, une pièce de danse inclassable, faite de musique décalée et accidentée, de gestes de danse disjonctés, et irrésistiblement accrocheuse. L’occasion de rencontrer l’étoile montante de la scène chorégraphique belge Ayelen Parolin qui s’ouvre ici à de nouvelles perspectives à l’aune de la liberté. Son authenticité riante nous impressionne. Elle nous libère avec elle.
© Dajana Lothert
La danse

L’une des choses frappantes dans votre travail chorégraphique, c’est sa grande agilité. Vous développez une danse qui se remet constamment en jeu au fur et à mesure des pièces. WEG fonctionne, par exemple, sur le dérèglement progressif de la phrase chorégraphique de chaque danseur·se aboutissant à une cacophonie de gestes et d’attitudes, décomplexée. La danse glisse ouvertement vers un processus d’auto-organisation mais qui est réglé sur les systèmes dynamiques du physicien Pierre C. Dauby. Pour vous, qu’est-ce que la danse ?

Spontanément les mots qui me viennent sont : la recherche de liberté. Je recherche la liberté en dansant. C’est tout. Elle est là, dans tous ces moments furtifs, difficilement saisissables, indéfinissables.

C’est à partir de WEG que j’ai ressenti la nécessité de cette quête, à la fois extrêmement intime et très sensible. C’est ce dont j’avais besoin à ce moment-là. Après l’expérience très éprouvante de Autóctonos (2017), j’étais face à deux alternatives. Soit j’arrêtais, soit je me posais et je réinterrogeais mes urgences : Pourquoi danser ? Comment danser ? Le pourquoi était clair. J’aime danser. J’aime regarder les autres danser. Le comment était plus complexe. J’avais le sentiment qu’il fallait raviver la petite flamme que l’on porte en soi, enfant. La raviver et la relier à toutes les autres petites flammes. C’était le plus important. Je ne voulais plus me mettre en avant ni en tant que chorégraphe ni en tant que danseuse. Au contraire, je voulais ne rien imposer, ne plus jamais « lisser », composer avec la couleur, le rythme de chacun·e.

L’image du chat me semble également familière… être à l’écoute du miaulement qu’on a en soi, qui peut être tour à tour strident, aigu et doux. Être tout contre soi, être soi. Je souhaite que la création soit la somme des qualités de chacun·e. C’est ce qui compte pour moi, aujourd’hui.

À l’instar de mon solo autobiographique 25.06.76 (ndlr : créé en 2004, il pose un regard intime et ironique sur l’artiste, la fille, la femme, la mère), WEG traite de la mémoire. J’ai demandé aux danseur·ses de travailler à partir des chansons qu’i·els écoutaient enfants chez ell·eux, bien avant qu’i·els soient des professionnel·les, pour y retrouver une joie pure.

D’une certaine manière, WEG est la pièce bascule dans mon parcours. Auparavant, mes créations étaient soit mathématiques, soit extrêmement loufoques, à l’image de ce que je suis. À la fois, très structurée et décomplexée. Cela faisait longtemps que je souhaitais que l’une de mes créations réunisse les deux facettes. C’est enfin le cas, avec WEG !
 

La musique

Elle est très importante pour vous. Dans WEG les danseurs·ses osent, sur la musique décalée et accidentée de la pianiste et compositrice Lea Petra, franchir le pas d’une truculence. Comment travaillez-vous concrètement avec Lea ?

Mon imaginaire est très musical, très rythmé. La musique c’est quelque chose de très organique, jamais lisse, une boule d’énergie pure, très stimulante. On peut fermer les yeux mais jamais les oreilles. Il est difficile d’être imperméable à la musique.

Dans WEG, il n’y a pas une seule et même dramaturgie. Lea crée sa propre dramaturgie musicale à partir du piano. Tandis que je crée ma propre dramaturgie chorégraphique. Les deux dramaturgies sont extrêmement travaillées et précises. Elles se superposent, se juxtaposent, se croisent de manière très hasardeuse.

Il arrive que Lea joue une musique qui reste en suspens : tout le monde l’entend mais les danseur·ses ne dansent pas sur cette musique-là. Dit autrement, les danseur·ses jouent leur propre musique en dansant.

Tout ça est là, en même temps. La force de la musique, et en définitive celle de la dramaturgie, est dans cette polyphonie, dans cette disjonction très complexe, dans des accidents intégrés ou dépassés qui créent bizarrement une harmonie.
 

L’entre-deux

De manière générale, vous jouez toujours d’un entre-deux troublant entre la maîtrise et le refoulé, l’humour et l’élégance. D’où cela vient-il ?

Ce qui m’intéresse, c’est la contradiction et l’ambiguïté. Elles sont difficiles à accepter. Mais tout est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. (rires)
 

Le rire

Il y a toujours un léger décalage dans vos créations. Soudainement, les danseur·ses semblent à la fois se regarder et nous regarder. Est-ce que le rire est lié à vos origines argentines ?

C’est culturel. C’est certain. En Argentine, on rit beaucoup. Sans quoi, il ne serait pas possible d’y vivre. C’est également très personnel : avoir une certaine distance par à rapport à ce qu’il se passe. Et qui peut devenir tout à coup ridicule.

C’est vrai. À tout moment, je vois le potentiel décalage, le ressort comique dans une situation. C’est ma manière de vivre. C’est inné chez moi. (rires) C’est presque magique, même lorsque ça se loge dans l’infime. On s’autorise rarement ce petit décalage qui peut être tantôt libérateur, tantôt critique. C’est dommage.

Comment l’incorpore-t-on ? Je pense qu’il faut être dual, accepter le doute, le tranchant. Il faut se mettre à distance. Bergson dit en substance que le rire n’apparaît que dans une situation improbable, un imbroglio impossible. Tout à coup, quelque chose arrive, malgré vous, par accident et vous devez l’accepter.

C’est une qualité que l’on possède ou non, me semble-t-il. C’est une prédisposition. Par exemple, la pièce SIMPLE (ndlr : créée en 2021, elle fait sautiller trois grands gamins qui, allègrement, enchaînent les gestes les plus improbables, ravis de susciter l’intérêt et les rires du public) fait beaucoup rire, mais nous-mêmes, nous avons beaucoup ri durant le processus de création. Nous avons travaillé dans une atmosphère très sérieuse, très énergique, très positive, autant d’un point de vue artistique qu’humain.

ET DEMAIN ? – J’aimerais continuer de travailler avec cette même légèreté – qui est enfin là ! ­– qui me permet de toucher ce qui est essentiel. Et emprunter un chemin praticable, plus agréable. C’est aussi une manière très douce de traiter pleinement de la violence, de la cruauté qui est en nous et autour de nous. On touche ici à la liberté.

— Entretien réalisé par Sylvia Botella en avril 2023

Le Rideau de saison, Maak & Transmettre · photo : Lucile Dizier, 2024