Passer au contenu principal
Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Entretien

On se retrouvera un jour ensoleillé

Transquiquennal

Là maintenant
Depuis plus de quatre décennies d’expérimentation, Transquinquennal s’impose avec férocité et radicalité comme l’un des plus grands collectifs en Belgique. Même leur obsolescence programmée dans leurs deux dernières créations C’est le moment créé au Marni en partenariat avec Le Rideau et Là-maintenant créé au Théâtre National Wallonie-Bruxelles en 2023 nous captivent. Elles sont au diapason de leur insolente jeunesse questionnante. L’occasion de discuter à bâtons rompus sans langue de bois avec Stéphane Olivier et Bernard Breuse de mode d’organisation, d’autogestion, de précarité, du changement, du « bon » usage du théâtre. Leurs expériences s’adressent à nous tous·tes.
© Patrick Bombaert, Dall-E

À sa manière, le théâtre reflète les transformations sociétales actuelles. Toute une série de  réflexions et de revendications sont  portées sur la scène : de plus en plus de corps se lèvent, de voix s’élèvent pour dénoncer les discriminations genrées, ethniques, sociales, notamment. Entre contestation, dénonciation et résistance, que peut concrètement, politiquement et esthétiquement, le mode d’organisation « collectif », en général ? Et celui de Transquinquennal, en particulier ?

Stéphane Olivier : Rien. En 34 ans, le concept « collectif » n’a jamais été reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il n’est pas gérable, ni du côté des institutions, ni du côté des équipes techniques. Le travail collectif non hiérarchisé/non hiérarchique n’a pas sa place dans la société dans laquelle on vit. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous arrêtons.

Le constat post-covid est terriblement alarmant. On parlait d’ouverture. Mais dans les faits, il s’agit d’une petite dilatation. Si la plupart des contestations sont légitimes et importantes, elles émanent le plus souvent de personnes privilégiées. La question de la diversité est cruciale. Mais la vraie question, n’est-elle pas celle de la diversité dans la salle ?! La question de la représentativité sur scène, c’est le levier. La diversité ? Oui ! Et surtout, pourquoi ? Ne sommes-nous pas piègé·es ? Depuis la création de Transquinquennal, nous n’arrêtons pas de questionner ce que nous faisons.

Bernard Breuse : Ce que dit Stéphane me fait penser à l’autogestion[1], à la gestion d’une entreprise par ses employé·es elle·ux-mêmes. Et en particulier aux exemples d’autogestion belges tels que l’usine de production de chauffage Somy à Couvin ou celle de Salik à Quaregnon où une centaine de travailleur·ses décident de relancer la production en autogestion[2].
Mais bon, si Transquinquennal dispose bien de ses propres moyens de production, je ne pense pas qu’il a le moindre impact sociétal.

Mutualiser les moyens de production, c’est l’une des réponses à pourquoi il y a des collectifs qui se forment : au sortir des écoles d’art, les jeunes se regroupent. Parce que le marché subventionné des arts de la scène est incapable de tous·tes les absorber. En définitive, « se regrouper » est la seule manière de survivre à des conditions minables.


Dans l’imaginaire théâtral le collectif ne constitue-t-il pas une forme d’organisation idéale ?!

S.O. : L’idéal se heurte toujours à la réalité.

B.B. : Heureusement, l’idéal de la jeunesse existe ! Et avec lui, une certaine conscience créatrice nécessaire. Dans les écoles d’enseignement supérieur des arts du spectacle, les professeur·ses ne transmettent pas les instruments du collectif, ni l’autonomie aux étudiant·es[3]. Les hiérarchies restent ce qu’elles sont. Pour quelle raison est-ce que ça changerait ? À cause de l’effondrement du système !? Il est peu probable que cela se produise un jour.

Je ne pense pas que le spectacle Là maintenant sera plus revendicatif que nos spectacles précédents. Le théâtre a ceci de particulier que nous réinventons constamment l’eau chaude. Ce qui, à tort, nous donne l’impression d’être revendicatifs. Si nous le sommes, c’est à la hauteur du budget alloué par la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Personnellement, qu’ai-je appris ? J’ai appris à apprendre. J’ai appris à être dans une position artistique où tout est possible. C’est ce que nous recherchons précisément. J’ai appris à ne plus avoir peur. En tout cas, en partie. (sourire) Jusqu’à la dernière minute, nous pouvons donc tout changer dans Là maintenant. Ce qui pourrait s’avérer bénéfique pour tout le monde. Après tout, n’accomplissons-nous pas un acte artistique ?!

S.O. : Je ne sais pas si c’est ce que j’ai appris. En tout cas, j’en suis profondément imprégné, aujourd’hui. Rien n’est plus important que le mode d’organisation du travail et la logistique. Comparés à l’inspiration, au talent – qui sont de l’ego.

Réfléchir sur le mode d’organisation du travail est un levier d’autonomie et de questionnements.

Si le collectif est intéressant, c’est bien parce qu’il pose des questions sur le théâtre, autrement. On voit bien que la métaphore est encore agissante dans les dramaturgies mainstream[4]. Alors que depuis les années 1990, elle est complètement vidée de son sens. Ce n’est plus une position artistique. C’est une posture. Nous sommes dans un truc complètement détaché des processus agissants sur l’expérience individuelle des spectateur·ices.
Est-ce que l’objectif du théâtre est d’avoir un standing ovation après chaque spectacle ? Bien sûr, je suis ravi de voir un bon spectacle. Mais le théâtre doit-il forcément être le lieu de l’enthousiasme ? Je ne vois jamais un standing ovation après le discours d’un·e ministre. Qu’est-ce que ça signifie ? Est-ce que les salles de théâtre, les salles de sport et les salles de concert seront les seuls lieux où l’on s’enthousiasmera ? Du pain et des jeux ! C’est ça !?

S.O. : Qui dit « cours de psychologie » dans les écoles, dit « cours » qui te donne la boîte à outils nécessaire pour appréhender la psychologie du personnage. Comme si le personnage avait une psychologie. Il y a un auteur, une autrice. Il n’y a pas une psychologie.

Comment le groupe s’organise-t-il ? Nous l’avons appris au fil des années. Lorsque nous travaillons en groupe avec des personnes nouvelles, nous mobilisons notre savoir en matière d’organisation du travail.


Pourtant, aujourd’hui, vous donnez corps et voix à votre obsolescence programmée : dans le prolongement de C’est le moment créé au Marni au Printemps 2023, vous créez Là maintenant au Théâtre National Wallonie-Bruxelles et puis vous vous en allez ? Pourquoi ?

S.O. :  À sa création, Transquinquennal était face à deux alternatives. Soit faire du théâtre librement, sans entraves institutionnelles, en gagnant parallèlement notre vie autrement. Autrement dit, faire du « théâtre amateur » au sens noble du terme, comme des personnes « aimant » ça. Soit s’inscrire dans l’écosystème institutionnel à ses risques et périls. Nous nous rendons bien compte que ça a été à nos risques et périls. L’institution n’a jamais fléchi.
Pourquoi arrêtons-nous ? Parce que nous éprouvons une forme de fatigue face à la standardisation du processus de création. Et puis, les ressources ne sont pas inépuisables. Nous avons créé une cinquantaine de spectacles. Je ne sais pas si nous l’avons bien dit. En tout cas, ce n’est pas comme si nous n’avions rien dit. C’est important de laisser la place à d’autres, quel que soit leur âge, d’ailleurs. Cela n’a rien avoir avec une forme de jeunisme. À un moment donné, il faut se mettre au service de et plus se servir.

B.B. : On le voit bien dans le théâtre belge francophone. Tout ce qui ne se voulait pas être « institutionnel » s’est institutionnalisé : les anciennes casernes, les garages, les friches. La Fédération Wallonie-Bruxelles aime les institutions. Nous le comprenons : il faut des interlocuteur·ices[5].

J'y entrevois une ironie du sort. Transquinquennal se clôture précisément où le théâtre belge francophone a commencé : au Rideau de Bruxelles en 1943, au Théâtre National Wallonie-Bruxelles en 1945. Nous bouclons la boucle de l’histoire.

S.O. : Bernard, tu as commencé au National.

B.B. : Il y a exactement 42 ans. Nous le savons bien : personne n’aime les indépendant·es. I·Els sont pires que les jeunes, i·els sont ringards. Nous nous sommes dits : avant que d’être éjectés et considérés comme ringards, autant partir tout de suite. Ca sera plus joli. Cela étant dit, mobiliser les moyens de production et de création trop longtemps, ce n’est pas tenable. Même si notre savoir-faire s’est affiné, a gagné en qualité au fil des 40 années.

S.O. : Les jeunes sont plus faciles à berner que les vieux. Ce qui ressort de la répartition des subsides alloués aux arts de la scène en Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est que bon nombre de compagnies se retrouvent avec une aide structurelle qui leur donne l’impression qu’elles changent de monde… un monde qu’elles ne connaissent pas : bienvenue au club ! Elles vont très vite prendre conscience qu’elles n’ont pas droit aux aides aux projets, que leurs subventions sont clairement insuffisantes pour s’autoproduire. Et qu’elles sont donc obligées de trouver des co-productions. Lesquelles ? Les saisons des théâtres sont pleines à craquer. Est-ce que quelqu’un s’est posé véritablement la question : Où seront concrètement programmées les compagnies qui produiront des spectacles dans un avenir proche ? La question n’est pas celle du jeunisme. C’est ça la question. D’une certaine manière, les tutelles institutionnalisent la pauvreté des jeunes.

B.B. : Tout ça est très hypocrite. Notre décision d’arrêter est une manière d’affirmer aussi que le théâtre est éphémère. Il est utile de le rappeler de temps en temps.

S.O. : Pour revenir à l’obsolescence programmée, on le voit bien, ces dernières années, on réalise de moins en moins de films catastrophe. On y est. A y regarder de plus près, deux types de figure sont à l’œuvre dans les films catastrophes des années 2000. D’un côté, il y a celle·ux qui s’en sortent, c’est-à-dire 1 à 2% de la population mondiale. Et de l’autre côté,  il y a celle·ux qui disent : j’accepte. J’arrête tout. Je veux passer du temps avec ma famille. En ce qui me concerne, il y a de ça. En définitive, c’est une meilleure manière de résister à ce qui se passe. Nous disposons de peu de moyens pour infléchir le cours des choses dans le monde dans lequel nous vivons. Bien sûr, nous pouvons nous donner bonne conscience.

B.B. : Je reconnais. Je me sens un peu fatigué, aussi. J’ai plus de 60 ans. Je n’ai aucun problème à le dire. Et je pense qu’en trente-quatre ans, nous avons dit ce que nous avions à dire.

S.O. : Si dans nos dernières créations C’est le moment et Là-maintenant, nous travaillons avec des personnes plus jeunes, c’est pour être bousculés. Et c’est ce qu’elles font en nous disant : nous sommes en train de créer un spectacle. Mais regardez, ce qui se passe autour de nous. Est-ce qu’on doit vraiment continuer de créer ? Les questions qu’elles se posent sont les questions que nous nous posions, il y a 20 ans. Certes, Transquinquennal est très réactif sur les questions de contenu, de forme, de structure, de dramaturgie. Mais peut-être l’est-il moins sur les questions vitales, aujourd’hui !? Est-ce que le monde dans lequel je vis est encore mon monde ? Je n’en suis pas certain. 


Juste avant le spectacle Là-maintenant, vous avez créé C’est le moment  en mars dernier au Marni avec Le Rideau à Bruxelles. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce dernier ?

S.O. :  À l’origine, nous voulions travailler avec les même personnes durant 1 an pour réinterroger nos pratiques.

B.S. : Comment crée-t-on les conditions du changement ? Parce que, même s’il y a une onde de choc, le changement ne vient jamais de l’extérieur. Il faut une volonté de changement intérieur.

S.O. : Les deux spectacles C’est le moment et Là-maintenant sont le fruit d’une réflexion commune : trouver une ultime forme singulière dans le travail collectif avec des personnes – ici des femmes – avec lesquelles nous n’avons jamais travaillé. Et dont les pratiques artistiques sont éloignées de la nôtre. Elles se sont choisies les unes les autres.

Le spectacle C’est le moment est une sorte de mise à plat des questions qui nous taraudent. Où en sommes-nous du point de vue du discours théâtral ? De ce qui est prévu ou non ? Pouvons-nous échapper aux structures et aux inconscients collectifs ?

Même si cette question n’apparaît pas littéralement dans le spectacle, nous nous sommes également interrogés sur le réchauffement climatique. Contrairement à ce que l’on dit, on le sait depuis le début de la Révolution industrielle. À cette époque-là, certains scientifiques avaient déjà tiré la sonnette d’alarme. La question n’est pas d’en faire la preuve. Qu’est-ce que ça signifie de se retrouver face à la même question que l’on pose à l’égard des cigarettiers, du pétrole, du capitalisme ? Le néocapitalisme nous plonge dans une forme de déni. Toutes ces questions nous ont amené·es sur le terrain des causalités, des certitudes que nous avons.

B.B. : C’était aussi une manière de se poser la question « de la fin qui justifie les moyens ». Autrement dit, quels moyens ? À quelles fins ? Est-ce que nous nous accordons sur un objectif[6] ? À mon sens, s’il n’y a pas de démocratie, c’est parce qu’on ne parle jamais du sens de ce que nous faisons. Nous faisons énormément. Mais que faisons-nous ?

Nous posons ici clairement la question : quel est le sens de ce que nous faisons au théâtre ? Nous racontons des histoires[7].

C’est précisément ce qui nous a amené·es au spectacle Là maintenant. Est-ce qu’un théâtre de dénonciation a encore du sens ? Est-ce qu’un théâtre de mobilisation a encore du sens ? Sauf à accepter une bonne fois pour toute que le divertissement suffit à tout le monde. Après tout, pourquoi pas ?! Nous voyons bien le succès de Netflix. Le théâtre n’est-il pas une forme de divertissement plus élevée ?

Ce sont toutes les questions que nous nous sommes posé·es en organisant notre travail, en prenant soin de ne pas orienter les recherches, ni la composition du groupe. Chaque personne qui a intégré le groupe a à son tour choisi une autre personne.


De quelle manière, Là-maintenant vous permet-il d’aller encore profondément dans Transquinquennal et en chacun de vous pour mieux retrouver vos partenaires de jeu – Alexandra Bouron, Sara Selma Dolorès, Francine Landrain, Charlotte Ducousso –, et la société dans laquelle vous vivez ?

S.O. : Elles ont toutes une personnalité bien à part. Nous espérons ne pas les étouffer. En tout cas, nous essayons de leur donner l’espace nécessaire pour qu’elles se sentent suffisamment à l’aise pour prendre leur place. Là maintenant : qu’est-ce que ça signifie théâtralement ? Qu’est-ce que la représentation ? Comment la questionner ? Nous veillons à créer les dispositifs d’écoute, ainsi que la promiscuité nécessaire.

Cela fait presque deux ans, que nous vivons tous·tes dans un état de guerre permanent. À cela s’ajoutent le Proche Orient, la crise économique, l’inflation. Nous avons atteint un tel niveau de saturation ! Elle nous empêche de communiquer, de voir, de réfléchir.

La question n’est plus de savoir si les personnes manifestent ou non ? La question est plutôt : est-ce que les personnes comprennent pourquoi d’autres manifestent-i·els ? Comment montrons-nous ce pourquoi nous manifestons ? Nous le voyons bien dans Bruxelles. La ville est dans un état de manifestation presque permanent. Lorsque nous nous promenons sur le piétonnier : il y a le marché de Noël, puis « Free Palestine »[8],  et un peu plus loin « Sauvons le Palais du Midi »[9]. La question n’est plus qui est-ce qui existe dans l’espace public ? Mais plutôt, comment reconnait qui est qui ? Autant de questions que nous posent concrètement Alexandra Bouron, Sara Selma Dolorès et Charlotte Ducousso depuis leurs pratiques qui sont différentes de la nôtre. Francine Landrain également, qui nous a accompagné sur le premier volet mais qui a dû se reposer par la suite à cause de problèmes de santé.

B.B. : Tout simplement, à quoi sert le théâtre ? Avec elles, nous nous sommes réinterrogé·es. Et surtout, je me suis attaché à leurs manières de se questionner. Et apprendre d’elles.


Là maintenant, qu’est-ce que vous dirait Miguel Decleire qui nous a quitté·es brutalement en septembre dernier ?

S.O. : J’aime à penser que l’une des choses que nous avons acquis après toutes ces années de travail collectif, c’est que tout ce qui s’exprime de l’ordre de la tendresse, de l’affection ou de soutien ne passe pas par les mots. Nous avons entre nous une forme d’attention silencieuse. Dans notre travail, les mots servent à autre chose. Ils créent de la pensée, ils nous posent. Nous ne croyons pas en la performativité de la parole. Sinon, nous ne remettrions jamais constamment en question l’état des choses.

J’aime à penser que Miguel est là avec nous – je ne parle pas de fantôme. Tout simplement, il fait partie de Transquinquennal.

Pour nous, sa disparition est extrêmement difficile à vivre. Car s’il y a bien une chose que nous souhaitions éviter en programmant notre obsolescence c’était bien celle-ci. Nous voulions que chacun puisse enfin avoir du temps pour soi. Ce dont Miguel est privé, aujourd’hui.

B.B. : Je pense qu’il aurait dit : « ces types de l’administration centrale sont des clowns ».

S.O. :  Tout à fait. Il aurait dit cette phrase. C’est d’ailleurs notre phrase préférée. On peut le dire. Elle est extraite de la pièce Quadrille albanais de Mac Wellman, qu’on a jouée, il y a très longtemps, elle décrit le rapport éternel que nous avons avec la bureaucratie. C’est presque la conclusion de plus de quarante ans d’activités : en fait, « ces types de l’administration centrale sont des clowns ».

 

— Entretien réalisé par Sylvia Botella en décembre 2023.

[1] Pour Castoriadis, l’autogestion fait référence à un mode d’organisation pour de nombreuses initiatives très variées qui bouillonnent et qui se rencontrent. Elles créent des modes d’organisation et des modes de vie différents. En filigrane, il y a la volonté des membres d’un groupe social de ne plus rester passifs et de maitriser et dominer les conditions qui leur sont imposées en décidant de façon collective, dans le respect de l’autre.

[2] Avanti, Dossier : Occupation d’usines et autogestion ouvrière en Belgique, avanti.be, consulté le 10 décembre 2023

[3] L’un des principes de l’autogestion est justement de divulguer les rapports de force et les pouvoirs informels et formels qui existent dans toute organisation collective. Dans le projet d’autonomie, il est primordial que les individus interrogent et transforment leurs rapports aux institutions, aux règles et aux normes sociales.  

[4] La valeur heuristique, c’est-à-dire « l’art d’inventer, de faire des découvertes » (Littré)de la métaphore permet de faire progresser le travail d’élaboration théorique et plus généralement tout développement cognitif.

[5] Toute forme d’organisation tend à être instituante. Les modes d’organisation doivent être perpétuellement intérrogés pour ne pas risquer d’être standardisé et institutionnalisé par une société capitaliste très résiliente.
Par exemple, la structuration de l’occupation temporaire de ces dernières années à Bruxelles pose question au niveau interne, par rapport à l’autonomie de ces espaces, mais aussi au niveau externe, par rapport à la gentrification et l’institutionnalisation.

[6] La cohérence entre les fins et les moyens, c’est comprendre les politiques préfiguratives sous l’angle constructiviste : ce sont des formes de vie que les membres des collectifs ont envie de mettre en place, de façon locale et généralisée. C’est incarner l’anarchisme, c’est-à-dire développer des formes de vie sans rapport d’exploitation ou de domination – interne ou externe, dans le présent.

[7] Toujours selon Castoriadis, le concept d’imaginaires utopiques apparait heuristique. La notion d’imaginaire renvoie à quelque chose d’inventé, à la fois absolument, de toutes pièces mais aussi à un glissement, un déplacement de sens où des symboles déjà disponibles sont investis d’autres significations que leurs significations « canoniques ».
L’imaginaire peut être instituant, c’est-à-dire « l’œuvre d’un collectif humain créateur de significations nouvelles qui vient bouleverser les formes historiques existantes » et institué, le produit de l’œuvre, c’est-à-dire l’ensemble des institutions qui incarnent et donnent réalité à ces significations. « D’où sa conception de l’histoire comme union et tension de l’imaginaire instituant et de l’imaginaire institué : aucune société ne peut exister sans institutions explicites de pouvoir mais doit (au sens d’une nécessité ontologique) poser dans le même temps la possibilité de son auto-altération, que celle-ci soit reconnue comme telle (cas des sociétés autonomes) ou bien déniée (cas des sociétés hétéronomes). »

[8] Instagram : brussels against genocide

[9] Amour & Sagesse n°9, Vénères et solidaires automne 2023

© Gloria Scorier