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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Entretien

L’écriture a des nerfs

Laurène Marx

Pour un temps sois peu
La performance autofictionnelle et stand-upée Pour un temps sois peu de Laurène Marx mise en scène par Fanny Sintès a créé l’évènement au MàD (Festival des Mots à Défendre) en mars 2023 au Théâtre National. Sa reprise, très attendue inaugure le printemps au Théâtre. L’occasion de discuter en toute franchise avec l’autrice prodigieuse Laurène Marx qui affirme son désir de liberté et d’authenticité.
Elle est l’une des plus grandes découvertes sur la scène théâtrale européenne actuelle. Du pur style Laurène Marx.
© Pauline Le Goff

Qui êtes-vous Laurène Marx ?

Qui suis-je ? (Rires) Cela prend du temps de se connaître soi. Il faudrait me poser la question dans une vingtaine d’années. Ce qui me définit, ce n’est pas forcément ce qui me rend sympathique. Du point de vue artistique, je suis une styliste. Je veux faire passer des messages politiques. Mon obsession première (ou question) est : comment faire en sorte que les gens écoutent ? Qu’i·els tiennent le fil d’un monologue qui dure deux heures ? Seul le style le peut. La musicalité des mots, c’est mon obsession depuis que je suis gamine. C’est l’une de mes grandes composantes. Comment formuler les choses ? 

Il n’y a pas d’un côté le fond. Et de l’autre, la forme. Il y a le fond ET la forme. Je le constate. Je suis issue d’une classe sociale « pauvre », je souffre de maladie mentale. J’aime la pop musique, le rap. J’aime énormément de styles. 

Certaines personnes se contrefichent de la forme et sont capables de dévorer des essais théoriques. Tandis que d’autres aiment seulement la forme dans la poésie. Elles ont la capacité d’engloutir beaucoup de matière. Je n’ai pas cette capacité-là. J’ai besoin d’efficacité. Je suis une personne efficace : je veux être comprise, vite et bien. Pour moi, il est nécessaire de marquer les esprits tout le temps. 


Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture ? Pourquoi écrivez-vous ? 

Avant mes 22 ans, j’ai beaucoup lu. Ça a complètement disparu depuis. Je n’arrive plus à lire. J’ai toujours ressenti la nécessité d’écrire. Cela vient sans aucun doute de mes échecs scolaires. Je pressentais que je ne ferais pas d’études, alors que j’avais envie d’écrire. Je ne pense pas que j’étais douée pour l’écriture. Mais j’aimais vraiment bien ça (elle insiste). Je me suis dit : j’aime ça. J’aime les écrivain·es. Je vais faire ça.

À l’âge de 15 ans, j’ai arrêté l’école pour écrire. Ce qui était ridicule. Je me suis retrouvée sans diplôme, sans rien en répétant seulement : je veux écrire, je veux écrire. Ça a été la longue traversée du tunnel. Elle a duré une vingtaine d’années. 

En plus, je n’étais pas douée. Ce n’est que depuis trois ans que j’ai trouvé mon truc. Je n’étais pas le genre d’écrivaine découverte par sa·on professeur·e, comme c’est le cas d’Albert Camus ou d’Alice Zeliter. Pas du tout. Je faisais des fautes d’orthographe. Je ne m’exprimais pas très bien. J’avais certes du vocabulaire mais je ne comprenais pas comment on structurait un récit. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’étais en échec scolaire.

Le théâtre semblait être la forme dans laquelle je pouvais me mouvoir librement, y être « virtuose ». Cela m’étonne toujours de constater à quel point certain·es auteur·ices n’y sont pas libres. Je voulais écrire. C’était quelque peu « romanesque ». Ce n’est que depuis peu que je sais pourquoi j’écris. 

Je n’ai pas eu la parole pendant des années. Aujourd’hui, je l’ai. C’est incroyable. Alors qu’on ne m’avait jamais écoutée, on m’écoute désormais. C’est presque une drogue. 

J’ai appris à structurer ma parole. Parfois, on n’est pas d’accord avec ce que je dis mais on m’écoute quand même. C’est un privilège.

L’écriture, c’est être écouté·e. Surtout, au théâtre. Être écouté·e, c’est une guérison ! Ce qui est triste, c’est qu’il a fallu que je trouve la formulation juste pour être écoutée. Je le vois bien. Mes sœurs et toutes les personnes qui m’entourent, ne sont pas écoutées. Parler, ça ne suffit pas. Il est nécessaire de formuler ce que l’on dit. 

J’ai le sentiment d’exercer mon métier depuis peu. Certes, le succès est arrivé avant. Mais ne plus avoir l’angoisse de payer mon loyer, savoir que je serai écoutée... je l’éprouve seulement depuis un an. 

J’ai l’oreille des personnes qui ont la possibilité de prolonger le succès. Je rencontre des professionnel·les et je leur dis : je veux faire ça. I·Els me disent : ok. Être écoutée me libère. Je peux enfin parler. 


Vous avez enfin le droit de parler. 

Absolument ! J’ai le droit de parler devant une assemblée de personnes qui peuvent être « agacées » ou au contraire « touchées ». Je crée du mouvement en permanence. Je sais que je peux être hyper énervante parce que je parle de manière très péremptoire. Ce qui inspire ou agace. C’est du mouvement ! Ça force !

C’est très compétitif ! Cela vient sans doute de mon goût pour le rap. Je dis aux autres : je suis la meilleure ! (Rires) Certaines personnes disent que c’est n’importe quoi. Et ce n’est pas grave. Le plus important, c’est que je suis écoutée. Et que ça pousse tout le monde. C’est parce qu’un jour, j’ai vu des personnes meilleures que moi, que je me suis dit : je veux atteindre le même niveau. 


C’est une exigence. 

Oui, et tout le monde ne l’a pas. Beaucoup de personnes sont paresseuses. Ma manière d’être au monde peut les pousser à l’être moins, y compris celles qui sont agacées. Elles peuvent se dire : je veux rester au niveau. Moi, je veux rester au niveau. Le jeu commence ici. 


Quelles sont vos influences ? 

En ce moment, j’aime beaucoup écouter le rapeur belge Damso. Il y a aussi la chercheuse Marie Coquille-Chambel. Je suis de plus en plus sensible au courage, à la pensée et à la détermination des universitaires et des activistes comme Angela Davis. Des personnes qui ont des nerfs, qui ont du style dans la colère. Je ne peux plus citer les écrivains qui m’ont nourrie. L’Histoire les retient désormais comme des grands misogynes. 


Dans quelles conditions matérielles travaillez-vous ? 

Aujourd’hui, elles sont exceptionnelles. Auparavant, je n’avais rien. Je n’avais même plus droit au revenu de solidarité active (RSA). J’étais sans logement. J’ai eu le statut d’intermittent, il y a seulement 9 mois. J’en ai pleuré. Je perçois également des droits d’autrice. 

J’exerce enfin mon métier. Lorsque je me lève le matin, je ne suis pas prise à la gorge. Toutefois, j’en garde une sensibilité, j’ai encore le froid sur les os. Je me souviens. Ce n’est pas si loin. 

Je peux faire croquer. J’ai une collaboratrice Jessica Guilloud. C’est une personne précaire, elle peut cumuler ses heures pour devenir intermittente. Je peux enfin rendre à Clémentine – à qui est dédié Pour Un temps sois peu – ce qu’elle m’a donné. Nous avons vécu grâce à son prêt étudiant. Si en retour, je peux aider les autres, je le fais. J’ai envie de partager. 


Le plus impressionnant dans Pour un temps sois peu, c’est la force politique du récit de soi. Et donc, de l’autofiction.

J’ai grandi avec les auteurs américains John Fante, Charles Bukowski (Rires). C’est fou, je me rends compte que j’ai grandi dans la misogynie. J’ai la plus grande estime pour l’autofiction où s’entremêlent sociologie et intime. Je n’aime pas la fiction pure. Peut-être parce que je fais du théâtre. La sincérité doit y être absolue. 

C’est ce que peut l’autofiction, surtout américaine. Elle a un souffle. La langue française est une langue extrêmement difficile. A contrario, la langue anglaise est plus directe. J’ai mis vingt ans pour maîtriser le Français. C’est très long. Trop long !

Aujourd’hui, je m’éloigne un peu de l’autofiction parce que j’ai envie de faire jouer d’autres personnes. Pour moi, la relation avec les publics est sans aucun doute la plus belle relation que j’ai dans ma vie. J’ai envie de partager ce sentiment-là. 

Si Pour un temps sois peu a émergé, c’est parce qu’il y a une authenticité inaugurale. Il y a peut-être un peu de fabriqué, je suis peut-être un peu cabotine mais c’est authentique.


Votre écriture, on s’y attache. Pour un temps sois peu, c’est une leçon de vie, c’est aussi une leçon par à rapport aux dramaturgies bien construites. Elle est miraculeuse, fulgurante. Elle est chaotique, heurtée et très claire, à la fois. Elle est très organique, très continuée. Elle amène de l’air frais.

J’aime beaucoup le mot « chaotique ». Pour moi, c’est l’art de la disgression. Lorsque je donne des cours, je dis aux étudiant·es : il est très rare d’être un·e bon·ne narrateur·ice. Ce n’est pas inné. Narrer, c’est très académique. Comment raconte-t-on une histoire du début à la fin ? J’insiste toujours sur la qualité de la digression. On peut gagner quelque chose dans le chaos. 

La digression, c’est quelque chose que je n’ai pas fabriqué. La digression, c’est la fenêtre de l’esprit sur l’esprit. Surtout, dans le théâtre. 

Les personnes ont peur d’apparaître comme des malades mentaux. C’est ce que je suis. Tout va très vite, pour moi. Du coup, Pour un temps sois peu, c’est beaucoup de réglages : comment tu montes ? Comment tu descends ? Il faut jouer, écouter. Il est nécessaire d’avoir des bon·nes partenaires de regard. C’est ce qu’est Fanny Sintès. 

Pour le Théâtre National, j’écris une nouvelle version de la pièce. Je continue de travailler. C’est mon éducation. Ce n’est pas parce qu’on commence à me reconnaître en tant qu’artiste que je dois m’arrêter de travailler. Je suis toujours en compétition avec moi-même. C’est mon exigence. Écrire, c’est un sport de haut niveau. Les sportif·ves ne s’arrêtent jamais. J’écris tous les matins. 

Pour un temps sois peu connait un succès fulgurant. Pourtant, je n’ai jamais cessé de la réécrire. C’est une grande leçon d’humilité. Je ne suis pas plus rémunérée. Pour autant, je continue de le faire. Le public a le droit d’écouter la meilleure version possible, et avoir la meilleure part de moi-même. Et puis, je travaille le jeu par le biais de l’écriture. Et inversement.


Pour un temps sois peu marque aussi votre première fois en tant qu’actrice. Est-ce que c’est une manière de trouver votre voie/x ? 

Pour moi, « jouer » signifie « ne pas disparaître ». Enfant, j’ai toujours eu la sensation de ne pas être douée pour l’écriture. En revanche, j’ai toujours éprouvé un immense plaisir dans le fait de jouer. Et cela, en dépit des moqueries sur ma façon de parler ou ma gestuelle de « tapette ». Pour moi, « jouer », c’est la continuité logique. C’est le fameux gueuloir de Flaubert : « je sais qu’une phrase est bonne qu’après l’avoir fait passer dans mon gueuloir ». 

J’aime faire rire. Si on prend le texte Pour un temps sois peu tel qu’il est, c’est-à-dire au premier degré, on n’entend pas le rire. Il peut s’avérer ultra-violent. Il est très facile de le « dramatiser ». Je n’ai pas envie de capitaliser sur la souffrance, ni la tristesse. Les spectateur·ices ont le droit de rire. Le stand-up est pour moi la forme parfaite. Je ne veux pas faire rire à tout prix, ni être misérabiliste. C’est pour toutes ces raisons que j’ai voulu jouer Pour un temps sois peu

J’ai créé récemment la pièce Jag et Johnny au Théâtre Paris-Villette. On y reconnait mon geste, ma forme. Si je n’avais pas joué Pour un temps sois peu, je ne serais pas aujourd’hui metteuse en scène. 

Je n’ai pas la prétention de renouveler le théâtre. Mais je peux montrer qu’il est possible d’aborder d’autres versants. Et être plus libre à son contact. À cet égard, le Festival Off Avignon 2023 a été le point de bascule. 

Sans Fanny Sintès, il n’y aurait pas eu Pour un temps sois peu. Même si je portais le stand-up en moi, à l’exception d’elle, personne n’y croyait. Il fallait m’écouter. Cela peut paraître peu mais en fait, c’est beaucoup. Fanny Sintès l’a fait. Elle a un regard exceptionnel.

© Pauline Le Goff

Vous faites souvent peur. En jouez-vous ? Aimez-vous provoquer ? 

Ni l’un ni l’autre. Pour moi, la provocation, c’est quelque chose de très faible. C’est par exemple, Gainsbarre. Pour moi, c’est très masculin. Bien sûr, il m’arrive de vouloir provoquer quelque chose chez les personnes, un sentiment, une réflexion, une question. Avant tout, je suis radicale face aux constructions normatives.

Si les personnes ont peur de moi, c’est parce qu’elles ont peur de dire des bêtises à une trans. Je le vois bien. Les transphobes agressent les trans. Et les personnes qui ne veulent pas l’être, ignorent les trans. 

Il m’arrive de rencontrer des directeur·ices de théâtre qui me disent qu’i·els ont peur de me rencontrer. Ce qui m’étonne toujours. 


Que voulez-vous dire aux personnes qui trouvent vos prises de position « violentes » – je les cite – sur les réseaux sociaux ? 

Je ne suis pas « violente », je suis « radicale » sur les RS – ils remplissent d’ailleurs les salles des théâtres. Il ne faut pas renverser le stigmate : c’est moi qui subis beaucoup de violences. Je ne suis pas « violente ». Je suis « virulente ». C’est ma manière de dire à certain·es : vous m’avez humiliée toute ma vie. Aujourd’hui, vous avez peur de moi. Au moins, j’ai gagné en statut. 

Je pense qu’il est important que les personnes dépassent l’image tronquée qu’elles ont de moi. Celle·ux qui me connaissent, savent que je ne suis pas méchante. Je suis même une personne joviale. (Sourire)


Quel effet, cela vous fait-il lorsqu’un·e directeur·ice d’une institution vous dit qu’i·el a peur de vous rencontrer ? 

Lorsque je suis face à une directrice, je l’arrête immédiatement. Je lui dis : « vous êtes une grande femme. Vous dirigez une institution. Vous avez peut-être des questions, mais vous n’avez pas peur ». Je ne crois pas que la directrice en question ait peur de rencontrer Alice Zeniter ou Pauline Peyrade. Est-ce qu’on peut y voir une forme de transmisogynie ? Je ne sais pas. 

Je suis une femme, aussi. Pourquoi avez-vous peur de moi ? J’ai peut-être une autre énergie que la vôtre, une autre forme de virilité que la vôtre. C’est très paradoxal car mes fans sont généralement des personnes extrêmement fragiles, des personnes non binaires frêles souvent mutiques. Elles n’ont pas peur de moi. Il est intéressant de se demander : qui a peur de moi ? 

Au sortir du spectacle, les personnes qui viennent me voir sont parfois intimidées, mais elles n’ont pas peur de moi. Qui est-ce que je « libère » ? Qui a peur de moi ? Si je fais peur à la directrice d’un centre dramatique en France, elle y survivra. J’y survivrai aussi (sourire). En revanche, si je fais peur à un·e trans, à un·e non binaire, là, c’est différent ! Lorsqu’un·e directeur·ice de théâtre me dit : « tu es trop virulente ». Je lui réponds : « en vrai, ça va ! ». 

Lorsqu’on a du succès, soit on fait tout pour le garder intact, soit on relance les dés. Je pourrais me taire. Je gagnerais de l’argent. Je ferais plaisir à tout le monde. Mais comment va-t-on se souvenir de moi ? Je mesure le prix à payer. Je ne suis l’artiste associée d’aucune institution. Alors que certaines artistes sont parfois associées à deux, trois CDN. 


Peut-être parce que vous revendiquez le droit d’être indocile. 

Là est la question. Que voulons-nous ? Voulons-nous des œuvres puissantes ? Et des paroles puissantes ? On a l’art qu’on mérite, non ?! Je pense qu’on veut des artistes dociles. C’est très étrange. D’un côté, je suis extrêmement valorisée. Et de l’autre côté, je fais peur. 


On s’en rend bien compte. Nous vivons dans des sociétés transphobes. Qu’avez-vous envie de dire aux transphobes ? 

J’ai des sœurs comme Lexie qui a un compte Instagram @agressively_trans. Je ne suis pas une pédagogue. Je n’ai rien à dire aux transphobes. Je me sens malade mentale, avant tout. Je ne sais pas ce dont je souffre exactement. J’ai des troubles de l’attention, j’ai une hyperactivité. Ils ont entrainé mon déclassement. Ils m’ont longtemps empêchée de capitaliser sur mon potentiel intellectuel. J’ai longtemps fait des petits boulots. 

Je suis moins en lutte contre les transphobes que contre l’extrême droite. Je m’adresse à mes allié·es. Je voudrais qu’i·els sachent à qui i·els parlent quand i·els le font. 

Je voudrais que les personnes qui me disent que je suis « violente », prennent conscience qu’elles le disent à une personne qui subit des violences. Toutefois, je suis convaincue que beaucoup savent que si je réagis comme ça, c’est parce que j’ai enduré certaines choses. Et peut-être ont-elles besoin que je dise à haute voix ce que je pense ?!

Je voudrais dire aux allié·es : « nous vivons dans un monde en flamme. Ne soyez pas des allié·es mou·lles ! Ne soyez pas des allié·es passif·ves ! Soyez des allié·es actif·ves ! ».

Dans mon monde, les transphobes existent à la fois peu et beaucoup. En revanche, l’extrême droite existe beaucoup. La transphobie est la sœur de la misogynie, elle est la sœur de l’homophobie. Les trans sont le réceptacle de la haine. Je vous laisse imaginer ce que l’on subit, lorsqu’on est trans et afro-descendant·e.

Je n’ai rien à dire aux transphobes. On ne les convaincra pas. Nous devons être meilleur·es ensemble contre elle·ux ! Et puis, franchement que pouvons-nous leur dire ? Nous nous faisons « massacrer » ! 


Vous créez Je vis dans une maison qui n’existe pas en mai prochain à Théâtre ouvert à Paris. Pouvez-vous nous dire quelques mots ?

J’aborde frontalement la dissociation en psychiatrie dans un poème. Le trouble est littéralement représenté sur le plateau. Le texte comporte peut-être des maladresses mais il est très compliqué pour moi de l’améliorer. 

Ce qui m’importe surtout c’est la pureté. Les spectateur·ices voient mes troubles, mon incapacité parfois à parler, mes silences. Ils sont incorporés dans le poème. C’est une vraie expérience. L’univers est à la fois glauque et politique. 

Il est fort probable que je n’écrive plus ce genre de pièce. Auparavant, j’écrivais des poèmes, des chansons. Et puis, je m’en suis écarté parce que je jugeais leur capacité d’expression trop faible. J’avais besoin de me frotter à des médiums plus forts.

Cette pièce est comme une respiration. Fait rare, je m’autorise la fantaisie. Elle est une part importante de moi-même.


Quel est votre état d’esprit, aujourd’hui ? 

Je suis toujours une guerrière. Et je suis confiante. J’ai le sentiment d’avoir deux à trois ans devant moi sans précarité. J’ai des partenaires. Des pièces sont en train d’émerger : Pour un temps sois peu, Jag et Johnny, Je vis dans une maison qui n’existe pas, Portrait de Rita

Dans l’esprit des gens, je suis encore la meuf qui a fait la pièce Pour un temps sois peu sur les trans. Alors qu’en réalité, c’est une pièce critique sur la normativité. C’est la pièce d’une autrice, avant tout ! D’une autrice qui est trans ! 

Je suis à la fois très fière et très agacée de devoir toujours dire que je suis trans. Il m’arrive d’en avoir assez d’être catégorisée « trans ». Et de renier parfois mes frères et mes sœurs pour sortir de la case. En tout cas, pour un temps. Parce que je suis profondément attachée à la communauté LGBTQIA+.

— Entretien réalisé par Sylvia Botella en mars 2024.

© Gloria Scorier