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Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Un rituel de vie

Zora Snake & Serge Aimé Coulibaly

© Andrea Messana

Serge Aimé Coulibaly: Ce qui est très original et très fort, c’est l’engagement total de Snake, dans son art et dans sa présence, sa rencontre avec le public. Il va convoquer tout ce qui peut l’aider à impacter le monde. C’est pour lui une question de vie ou de mort.

Il n’est jamais satisfait et ne se repose pas sur des acquis. C’est un bon danseur mais il est toujours en recherche. Il trouve d’autres choses. À un moment donné où créer dans des salles commençait à être très compliqué, il est parti jouer dans la rue. Et il a ouvert la porte pour d’autres. C’est un peu comme s’il avait fait tomber les murs. Aujourd’hui, on peut voir Snake un peu partout dans les festivals en Afrique et en Europe. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’autres spectacles en Afrique. Non. C’est parce que lui, il est allé là où les autres ne vont pas.

 

Zora Snake: Je raconte une forme de violence, mais avec poésie, avec une esthétique plus en profondeur. Le geste poétique que je fais sur le plateau peut paraître violent, mais il n’est pas provoqué en amont. Je ne me suis pas dit : Bon, dans cette performance, je vais être violent. Ce sont des réflexions, des recherches, du travail durant des workshops, des résidences qui dramaturgiquement dessinent ça. Ça vient de façon naturelle. Comme par exemple les fils de fer barbelés sur le corps pour Transfrontalier. Comment pouvais-je faire mon chemin dans cet ailleurs ? C’est un sujet tellement sensible qui doit être à la fois violent mais beau à regarder.  Pour Le Départ il y a ce corps compressé. Toute la tension de ces 22 millions d’habitants vivant au Cameroun qui n’en peuvent plus d’une certaine politique qui oppresse. Ce sont toutes les voix des activistes, des jeunes qui pleurent dans la rue que je porte en moi. C’est tout ça que j’essaie de raconter. Nous sommes des passeurs, des médiums, nous véhiculons les non-dits.

 

Serge Aimé Coulibaly: Tout est lié, tout est connecté. À partir du moment où on est préoccupé par la réalité du monde, on a envie de le raconter d’une manière honnête. On ne vit pas dans deux mondes séparés. Il n’y a pas l’Afrique et l’Europe.

Comment un artiste pourrait-il raconter son monde en se mentant ? Je raconte le monde dans lequel je vis. Je suis comme un témoin du temps. Si je fais ce métier, c’est pour essayer d’améliorer l’humanité qui est en nous, aller à la rencontre des autres. Cette humanité, elle se trouve partout.

 

Zora Snake: Quand on pense à un projet, on ne pense pas en étant burkinabé ou simplement africain, mais en étant un humain, une personne morale qui se doit, qui a le devoir de témoigner de son temps. L’idée est de partager, de faire dialoguer ici et ailleurs, de créer une autre manière d’échange. Parce qu’on a tous une même histoire. Il n’y a pas d’esclave, il n’y a pas de… On a tous subi une même humiliation.

Comment créer une cérémonie pour retrouver cette humanité qui s’est éloignée durant ces tragédies ? Et qui continue d’ailleurs à s’éloigner avec les mots. Ces mots avec lesquels on manipule les gens. Ces mots qui font peur, qui créent de la frustration, du repli sur soi. Nous créons un rituel de vie — je ne parle pas de rituel de village.

Je crois en la complémentarité. Je peux dire aujourd’hui que je suis chorégraphe parce que je me suis nourri de Serge Aimé, je me suis nourri d’Akram Khan, je me suis nourri de Roméo Castellucci, je me suis nourri de Dieudonné Niangouna et Étienne Minoungou. Et ce sont toutes ces complémentarités qui font de nous des personnes humaines qui nous donnent la force de vouloir témoigner de notre époque.

 

—  Propos recueillis par Benoît Henken le 6 février 2020

© Gloria Scorier