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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Edito

Hypercorps

Saison 2022·2023

Puissance de citation de l’image de saison, incarnée par Gwendoline Robin en train de réactiver les performances de son répertoire dans les ateliers décors du Théâtre National Wallonie-Bruxelles. Parce qu’à y regarder de plus près, cette visibilité soudaine du corps dans l’espace brûlant nous fait entrer dans le récit.

Ce que nous vivons depuis 2020 repolarise notre vie collective. Des millions de voix invisibilisées, minorées, prennent corps dans le monde. Elles résonnent comme les échos d’un passé qui resurgit chroniquement et de manière relativement inédite sous des formes hashtaguées, contiguës : les mouvements #MeToo, #MeTooIncest, « Black lives matter », féministes ou transféministes. Il faut en assumer la puissance d’ébranlement, le sens. Là où se joue précisément notre éthique de la responsabilité et la possibilité, pour nous, d’être humanistes et solidaires avec les artistes et les publics, à Bruxelles, en Wallonie et ailleurs.

Ce qui nous oblige à nous demander en retour : Quels imaginaires composent le théâtre qui vient ? Quels corps pour sortir des oppositions binaires ? Comment pouvons-nous stimuler la place du spectacle vivant face « au tout numérique » ? Pouvons-nous encore habiter un espace qui ne serait qu’un théâtre ?

Le Théâtre National est « avant tout un lieu où l’on voit et l’on entend des corps 1 ». Il raconte selon le care « les corps qui comptent » dans leur multitude. La saison se présente comme un vaste dégradé de pratiques artistiques, ponctué de temps forts, populaires et festifs où l’expérimentation a sa part : Jours de fête, Urban Dance Caravan, Scènes nouvelles, MAD - les Mots à défendre ou À la scène comme à la ville. La création s’y entrelace avec agilité au théâtre, au cinéma, à l’art de la performance, au cirque, aux technologies, à la littérature, au slam ou à la danse, dans une grande diversité de collaborations en présence, d’espaces et de contextes. Il s’y invente des circulations écoresponsables qui, à la fois territorialisées et dépaysées, transgressent les frontières d’appartenance symbolique.

Si toutes les manières de représenter sont des alternatives, s’il n’y a pas une manière de représenter plus légitime qu’une autre, n’est-il pas temps d’arpenter d’autres territoires sensibles de l’imagination et de la représentation ? Là où les voix se mêlent, depuis diverses disciplines. Il suffit de faire confiance aux huit artistes associé·es de la Fédération Wallonie-Bruxelles durant les cinq années à venir, pour créer des espaces d’empowerment et d’hospitalité vivante. Au théâtre, il y a Anne-Cécile Vandalem, Le Raoul Collectif, Gaia Saitta et Clément Papachristou. À la danse, il y a Ayelen Parolin et Hendrickx Ntela. En littérature et slam, il y a Caroline Lamarche et Joëlle Sambi. Sans oublier l’artiste complice Mohammed El Khatib.

Hybride, rieuse et grave, la saison 2022·2023 est marquée par la prédominance des femmes offensives telles que Martine Wijckaert, Angélica Liddell, Yana Ross ou Emilienne Flagothier. Certain·es artistes y réinterrogent les grands classiques dans des dispositifs scéniques sophistiqués comme Aurore Fattier, Cyril Teste ou Phia Ménard. Tandis que d’autres s’attardent sur les grands moments de l’existence tel·les que Eline Schumacher, Tatiana Frolova, Steven Cohen ou Léa Drouet. On y retrouve également un ébranlement opérant avec Hakim Bouacha, Christiane Jatahy ou Marie-Aurore D’Awans. Contre la morosité, beaucoup nous font rire pour nous faire réfléchir aux multiples façons de nous découvrir comme Léonard Berthet-Rivière & Muriel Legrand, Gaël Santisteva, Simon Thomas. Avec la danse, c’est aussi la tonalité du théâtre qui s’en trouve changée. On renoue avec le plaisir des grands ballets contemporains, de Anne Teresa De Keersmaeker en création mondiale au Ballet national de Marseille.

Les corps cisèlent ici la lumière.

 

Pierre Thys, Directeur général et artistique
& l’équipe du Théâtre National Wallonie-Bruxelles

1 Christian Biet, Professeur d’Histoire et esthétique du théâtre à l’Université de Paris – Nanterre, membre de l’Institut Universitaire de France (1952-2020)

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© Gloria Scorier