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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Entretien

C'est pas bête !

Zoé Suliko Laurence Vielle Valérie Bertollo

Inauguration Maison Gertrude
Avec C’est pas bête !, habitant·es de la Résidence Sainte-Gertrude et adolescent·es de plusieurs écoles bruxelloises imaginent ensemble des fictions sonores peuplées d’animaux et de récits partagés. Présentées dans la cadre de Radio Gertrude, ces créations collectives font de la fiction un espace de lien, de mémoire et d’imaginaire.
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Pouvez-vous nous parler du projet Radio Gertrude qui se tiendra lors de l’inauguration du centre d’art à la Résidence Sainte-Gertrude le 24 mai ?

Valérie Bertollo (V.B.) : Les habitant·es de la Résidence Sainte-Gertrude et les jeunes vont créer trois heures d’émission. Celles-ci comprendront des chroniques, des interviews d’artistes et plein d’autres choses à venir écouter et découvrir. Il s’agit de mêler du live et des choses préenregistrées qui sont le résultat du travail mené avec les publics. Les fictions sonores et les chansons de Maxou Bisou en feront partie ainsi que des mini-podcasts de Joëlle Sambi réalisés au sein de la Maison Gertrude.


Comment est né le projet de fictions sonores ?

Zoé Suliko (Z.S.) : L’idée du projet de fictions sonores était de créer des podcasts fictionnels dont le thème principal était "les animaux". Un thème qui permet aux jeunes et aux personnes âgées de se rencontrer. Il fallait créer un échange avec ces différents publics afin de donner lieu à quatre fictions.

Nous voulions travailler avec Laurence Vielle pour nourrir d’autres pistes d’écriture et animer ces ateliers, et qu’elle nous aide à explorer toutes les possibilités d’inspiration.

Alors que nous avions préparé ce projet bien en amont, lors de notre premier atelier, quelque chose est advenu par surprise. Un des habitant·es nous a révélé être un enfant de maroquinier. Le lien avec les animaux s’est fait mais d’une manière qu’on n'avait pas envisagée : c’était un autre regard sur les animaux à partir des peaux. Cela a permis une rencontre plus documentaire et documentée. Pour rappeler une mémoire de Bruxelles à une époque révolue. Cet habitant de la Résidence Sainte-Gertrude a organisé une visite guidée dans les Marolles pour nous montrer la maison où il avait grandi, où il allait chercher les peaux, ainsi que le magasin de sa famille.

V.B. : Pour moi, dans les ateliers, la condition sine qua non, c’était la rencontre entre les habitant·es et les ados. On a dû rebondir, s’adapter mais chaque fois, l’attention des artistes était portée sur le fait que les décisions étaient validées par l’ensemble du groupe.

Il y a des habitant·es qui voulaient être présent·es avec toutes les classes. Les liens se sont constitués d’emblée. Et i·els reparlent encore de moments vécus. Les animaux étaient en réalité un prétexte pour faire surgir l’intime.

Z.S. : Les habitant·es de la résidence sont des personnes très esseulées et le lien avec la jeunesse est donc fondamental, pour ces jeunes également. Iels reçoivent une parole, une histoire. À partir de la petite histoire, on hérite de la Grande histoire.


Comment avez-vous procédé pour créer une histoire collectivement ?

Z.S. : On a créé un cadre et donné des pistes sans imposer quoi que ce soit. L’important était d’entendre leurs paroles. On a réfléchi également en construisant les histoires à l’habillage sonore de chacune d’entre elles pour soutenir les mots, au niveau ambiance, comme une toile de fond pour mieux les raconter.


Que racontent ces quatre fictions ?

V.B. : Pour la fiction basée sur l’histoire du maroquinier, on a créé des avis de disparitions fantasques qu’i·els ont écrit et qui sont aussi intégrés dans l’histoire. Iels vont aussi faire des affiches. On a envisagé un placardage d’avis de disparitions fantaisistes dans les Marolles.

Z.S. : Avec l’Institut Diderot, et les apprenti·es menuisier·es, les élèves sont parti·es sur l’écriture d’un polar. Iels ont imaginé que tous les habitant·es de la résidence étaient des animaux.

On a créé des bruitages. Il y a par exemple un bousculement, le bruit de quelqu’un·e qui cherche des affaires dans la cuisine, les inspecteur·ices qui passent, les marmites.

Laurence Vielle (L.V.) : Ces moments de studio ont toujours plu aux élèves qui se sentaient comme des professionnel·les, et il y avait chaque fois un·e habitant·e de la Résidence Sainte-Gertrude avec nous.

Z.S. : Les élèves de l’école Montessori sont parti·es quant à ell·eux sur l’idée d’un cataclysme : i·els ont imaginé que tous les êtres humains avaient rétréci tandis que les animaux étaient devenus grands. Chaque être humain est alors devenu un humain de compagnie pour les animaux. Les rôles sont inversés. Dans la fiction, i·els expliquent chacun·e par qui i·els ont été adopté·es. Un des habitant·es, François a choisi de vivre seul en affirmant qu’il se débrouillerait en restant dans un trou de souris à Sainte-Gertrude.

La dernière école ayant participé au projet est le collège Mateo Ricci. Le professeur avait très envie de travailler sur les animaux en voie de disparition. C’est une classe dans laquelle tu sens une réelle angoisse par rapport au réchauffement climatique. À partir des animaux disparus, i·els ont écrit un manifeste de revendications émises par les animaux eux-mêmes. Il est constitué de choses croustillantes et tendres de la part des animaux en voie de disparition. Iels ont créé des annonces amoureuses également.

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Qu’est-ce que ce type de projets artistiques avec un public intergénérationnel vous apporte à vous dans vos parcours artistiques personnels ?

L.V. : Ce projet est avant tout un projet de rencontres qui est devenu un projet d’amitiés. Nous nous sommes attachées en très peu de temps à ces personnes âgées. C’était beau que toutes ces personnes se rendent compte qu’elles étaient chacune une part de cette création. On s’est beaucoup entraidé.

Z.S. : Ce projet me donne de l’espoir et m’anime car l’effervescence de groupe est très motivante alors qu’en radio, on est souvent seul·e. L’adolescence, c’est une période assez sensible car on ne sait pas ce que ces jeunes pensent, s'i·els vont être touché·es. Entendre ce que ces ados ont à nous dire est très riche, comme avec les personnes âgées. Ce sont des paroles qu’on entend peu. On parle souvent à la place des jeunes ou des personnes âgées, et je trouve ça tellement important de les écouter ell·eux.

V.B. : Pour la plupart des classes participantes, écrire met une pression. La manière d’aborder les choses a été de favoriser l’échange et les rencontres et de recueillir les différentes paroles, pour permettre à chacun·e de se sentir écouté·e.


Quels publics aimeriez-vous toucher avec ces fictions ?

L.V. : Elles seront diffusées lors de l’émission radio du 24 mai 2025. Ces podcasts existeront et mèneront leur vie à la Maison Gertrude et ailleurs. Les jeunes ont rencontré les personnes âgées et vice versa. Il y a de vraies amitiés qui se sont créées. Ce projet rendait ce dialogue-là possible.

Z.S. : C’est important pour nous que des liens perdurent quand le projet artistique est terminé, qu’ils puissent aller au-delà de la rencontre artistique.


Quelle place la fiction peut-elle prendre dans le contexte que nous connaissons?

L.V. : On a besoin des deux, la fiction ça réveille l’imaginaire. Les participant·es ont écrit des textes magnifiques. Être dans la fiction, c’est être habité·e par quelque chose qui n’est pas le quotidien et qui fait que des fenêtres s’ouvrent dans la tête comme des petites alvéoles pulmonaires qui nous donnent un peu de respiration car le réel est tellement flippant. Ces bulles d’air, ce sont des possibles qu’on crée ensemble.

Z.S. : Je dis souvent que développer l’imaginaire permet d’envisager des possibles, d’apprendre à s’adapter. Plus tu as d’imagination dans la vie, plus tu vas pouvoir tenir et rebondir.

V.B. : Vu que la proposition venait du Théâtre National et qu’on est une institution plongée en permanence dans les histoires, l’idée était de créer de nouveaux mondes ensemble à travers ces histoires. En tant que théâtre, c’est important de proposer à des artistes de créer des histoires qu’elles soient basées sur le réel ou sur le fictionnel.

Il y avait aussi l’idée de faire venir de vrais animaux, ce qui était très attractif pour les habitant·es de la résidence. Madonna la tortue est venue et les habitant·es m’en parlent encore ! Il y a eu également deux cochons d’Inde. Laurence a amené le chien de sa fille. La venue de ces animaux a ravivé des souvenirs. Un furet devrait sans doute venir à Sainte-Gertrude ainsi qu’un serpent !

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