Naar hoofdinhoud
Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Down and out

Un texte d'Olivier Bailly sur l'expo de Loïc Delvaulx

"Down & Out, le cercle vicieux de la précarité", une exposition du photographe Loïc Delvaulx à voir jusqu'au 23.12.2017.

 

En 2008, dans le cadre d’un livre sur les bénéficiaires du Samusocial (Down & Out), Loïc Delvaulx rencontre Michel. Ce jeune gars (31 ans) connaît alors sa première nuit dans les rues de Bruxelles. Il est balafré par la vie, rongé par l’alcool depuis ses 14 ans. Le médecin qui le suit est clair : « Vous n’arriverez pas à 40 ans ». Janvier 2017, Michel est mort. Six mois avant son quarantième anniversaire. Comme prévu.

Ce qui impressionne le plus dans le parcours de Michel, c’est cette impossibilité à corriger un départ catastrophique dans une existence, redresser la haine d’une mère saoularde, effacer les coups de poing d’un oncle. L’échec d’une société. Comment répare-t-on les vivants ?
 
Pendant dix ans, Loïc a continué à voir Michel. Il a cru qu’il s’en sortirait. L’a vu rechuter.
Le livre Down & Out racontait Michel en 2009. Voici ce qu’il est devenu en 2017.

Michel habitait à Clabecq dans un appartement, au-dessus de la maison de sa « marraine de cœur », Martine. De là, Michel partait chez Maryse, à 300 mètres de distance. Et entre les deux femmes de sa fin de vie, il y avait un café, Chez Valy, où Michel faisait la fête, travaillait un peu, chantait les karaokés de Freddy Mercury et de Johnny, parfois. Et buvait de l’alcool, beaucoup.
 
Martine, la soixantaine, a accueilli Michel à une de ces énièmes sorties d’hôpital. De lui, elle dit qu’il était « brave ». Elle a géré son argent, l’invitait aux fêtes de fin d’année.
« Si j’avais besoin de lui, il était là. Il aurait pu faire partie de ma famille, avec mes enfants, mes petits enfants, s’il n’avait pas autant bu ». Mais Michel boit et fait « quelques suicides ». De la terrasse, il saute dans le vide et se brise les jambes. Il s’entaille les veines. Avale des médicaments. Ce n’est pas de tout repos de fréquenter Michel. « S’il avait rencontré les bonnes personnes, il aurait été quelqu’un de bien. Il a raté sa vie ». Martine y a cru pourtant. Deux ans de stage en tant que maitre d’hôtel. La boisson modérée, le teint rose. La meilleure période de sa vie. On ne l’a pas gardé.

Puis il a enchainé des petits boulots. C’est comme ça qu’il a rencontré Maryse (85 ans). De l’intergénérationnel comme on en rêve. Il lui préparait à manger, faisaient ses courses. Ils se tenaient compagnie, parce que Michel ne supportait pas la solitude. Au point de « bloquer » un peu Maryse dans ses tâches ménagères. Ils buvaient ensemble quelques petits whiskys à l’eau. Trois, quatre. Peut-être plus. Michel titubait. S’écroulait. Restait inanimé par terre. Ca faisait peur à Maryse. Mais ils ont beaucoup ri aussi, comme quand Michel imitait Sarkozy ou Johnny. « Il m’a boosté. Je vivais dans mon jus. Il m’a mis un coup de jeunesse. Je n’avais pas de visite, j’en ai eu trop avec Michel. Le vide est encore plus fort. Il me manque. »

Entre Martine et Maryse, il y a donc 300 mètres que Michel parcourait à pied, ou en voiture quand trop saoul, il était reconduit par Maryse. Ces 300 mètres séparent deux femmes qu’il a beaucoup aimées. Il appelait parfois la vieille dame solitaire « Maman », du nom de celle qui lui aura manqué toute sa vie. Sous son blouson noir en cuir, Michel était un cœur tendre. A sa marraine, il avait envoyé par sms « le nombre d’étoiles dans le ciel, c’est le nombre de bisous que je t’envoie. » Un lundi de janvier, elle l’a retrouvé mort, couché par terre dans son appartement. Un malaise ? Le corps habillé en jogging, affalé sur le sol entre la chambre et la cuisine. La tasse de café renversée.
Avec sa famille alcoolique et ses amis portés sur la boisson, Michel avait toujours affirmé : « La première chose que je fais quand j’arrive au ciel, j’ouvre un bar ». Eboueur en CDD, maitre d’hôtel en stage, petits boulots au noir, on n’a pas réussi à l’amener vers un projet plus intéressant sur terre. C’est un peu de sa faute. Aussi de la nôtre. Alors voilà. Le bar est ouvert.

Olivier Bailly

© Gloria Scorier