Naar hoofdinhoud
Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Exprimer un état d’esprit

Le Chagrin des Ogres / Fabrice Murgia / Entretien

© Carlos Rego

Extrait d'un entretien avec Fabrice MURGIA à propos de sa création Le Chagrin des Ogres.

Fabrice Murgia : Je veux restituer une oeuvre sensorielle autour des témoignages d’un jeune homme et d’une jeune femme, arrivant à un cap de leur vie, dans une certaine époque qui est la nôtre. Ce sont des sons, des images de notre enfance. Je ne livre pas de noms,  pas de dénonciation directe.

Pouvez-vous expliciter cette réserve, cette précision ? 

FM : Ce qui reste pour moi l’élément le plus politique au théâtre, c’est la forme. Dans son blog, Bastian Bosse dit qu’il est au camping, il parle de choses plus ou moins futiles, mais c’est entre les lignes que cela se joue. Je ne peux pas isoler un agresseur direct avec ce spectacle, je préfère larguer un état d’esprit sur le plateau, un cauchemar. Je réécrit sur ces faits divers car ils stigmatisent une jeunesse qui est la mienne. Le Chagrin des Ogres, c’est l’histoire d’une journée au cours de laquelle des enfants vont cesser d’être des enfants. Je ne trouve pas que mon spectacle soit «politique». En fin de compte, il l’est, mais ma démarche pour le faire n’est pas du tout politique. J’ai vingt-cinq ans et c’est ma façon à moi d’enterrer mon enfance. Le spectacle parle de ça, ce sont des testaments d’enfants.

Vous entrelacez la réflexion sur le politique, que vous placez un peu en retrait, et la question du réel qui semble constamment problématisée. Ainsi, vous partez de faits divers dont vous dites, dans le même temps, qu’ils sont presque notre quotidien, notre vécu. Pourquoi assimiler cette réalité-là à LA réalité ? 

FM : On ne peut pas enlever aux spectateurs le réflexe de se dire « ça existe ». Les téléfilms racoleurs précisent en général qu’ils sont inspirés d’une histoire vraie, cela fait bien. Moi, j’ai besoin de cette accroche au réel, la plus crue possible, pour après, créer un envol plus onirique. L’onirique est justifié si on se reconnaît dans ce monde-là. Mais, de manière plus diffuse, le spectacle parle aussi du problème actuel du rapport à la réalité, au concret des choses. C’est pour cela que j’avais envie d’une dimension documentaire. Un personnage au début du spectacle explique que rien n’est réel ou plutôt que “tout ce qui peut être imaginé est réel”, comme disait Picasso. A travers le style de jeu, l’agencement des séquences, l’atmosphère, et l’énergie de la création, on comprend qu’un matériau brut a été utilisé. Cette fable onirique doit transpirer le vécu.

Qu’en est-il de l’onirisme ? Est-il créé à partir de votre univers ?

FM : J’ai pensé que le dernier espace de liberté était l’imaginaire et j’ai pris des éléments dont Bastian parle, des images de son enfance par exemple, pour lui créer un monde imaginaire qui d’un point de vue documentaire n’était pas le sien.

 

— Propos recueillis par Nancy Delhalle
L'intégralité de l'entretient est disponible dans Alternatives Théâtrales, n°100

© Gloria Scorier