Naar hoofdinhoud
Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Des bordures temporelles et spatiales mouvantes

Codebreakers / Vladimir Steyaert / interview, partie III

Sur le plan formel, entre chaque scène qui évoque une figure différente, il y a comme un glissement, un passage de témoin entre les personnages ?

Oui, et l’étape de travail à la Chartreuse a confirmé que l’idée d’un glissement d’une scène à l’autre et d’un personnage à l’autre fonctionnait bien, même sur le plan sémantique.

Par exemple, à un moment, Chelsea Manning lit un texte de Carl Sagan, l’astrophysicien sur le « Pale Blue Doth ». C’est la photo la plus lointaine prise de la terre dans les années 2000. La terre y est un minuscule petit point, comme un pixel. Elle l’envoie à Adrian Lamo en lui disant à quel point cette image résume tout pour elle. Cette scène fait directement écho aux idées de Giordano Bruno sur notre place dans l’univers. Bruno que je vois aussi comme un second Hamlet, cet homme maniériste, mélancolique qui comprend la vanité humaine. (D’ailleurs Shakespeare connaissait les écrits de Giordano Bruno et Prospero dans La Tempête serait une référence directe à Bruno).

J’essaye aussi de faire un parallèle entre les destins des personnages qui vont se rejoindre à certains moments. Par exemple à travers les procès qu’ils ont tous subi sauf Camille Claudel.

Ces 4 figures se rejoignent pour devenir une sorte d’image universelle et intemporelle de la contestation. Les différents tableaux vont donc glisser de l’un à l’autre, et les bordures temporelles et spatiales deviendront de plus en plus mouvantes. Cela me paraît intéressant théâtralement et narrativement.

J’ai d’abord écrit des blocs très séparés, et maintenant je tente de les fondre les uns dans les autres, comme dans La Ronde de Schnitzler qui était une de mes premières intuitions dramaturgiques.

 

Tu parlais d’un langage spécifique pour chacune des figures de Codebreakers ?

Oui, par exemple le langage de Bruno, c’est la parole : mais c’est celui pour lequel j’ai le plus de mal ; il est très prolixe et adore la polémique et les débats d’idée. Or, le débat d’idées au théâtre, peut être perçu comme ennuyeux aujourd’hui. Il faudra que je trouve une autre façon de le faire passer.

Bradley / Chelsea Manning chate, et on pourra voir évoluer sa relation virtuelle avec Adrian Lamo. Il y a une relation de séduction entre eux. Ils se draguent notamment en devenant amis sur Facebook. On verra donc concrètement se dérouler leurs statuts facebook et leurs commentaires respectifs.

Alan Turing, on le perçoit par des chiffres et des théorèmes, mais il parle aussi à des objets, à son ours par exemple et avec tout son univers d’enfant, très réel pour lui. On peut donc imaginer des discussions entre des jouets, pour raconter des choses plus complexes, comme la guerre.

 

Propos recueillis par Cécile Michel
Le 2 avril 2019

 

Codebreakers / Vladimir Steyaert / interview

© Gloria Scorier