Naar hoofdinhoud
Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Ils ont fait preuve de liberté de pensée mais aussi d’un grand courage

Codebreakers / Vladimir Steyaert / interview, partie II

Qu’aimerais-tu que le public retire de ces 4 destins liés de briseurs de codes ?

J’aimerais que l’on se rende compte à quel point on a besoin de gens comme eux. Et à quel point aussi ils ont tous à leur manière fait preuve de liberté de pensée mais aussi d’un grand courage. Et qu’ils nous invitent à cesser d’être passifs et spectateurs de nos vies.

 

N’y a-t-il pas quelque-chose de commun dans l’espèce de folie qui les habite tous ?

J’ai beaucoup pensé à ce que Michel Foucault dit de la folie[1] . Ces 4 personnages à 4 époques différentes pourraient aussi constituer une espèce d’histoire de la folie telle qu’elle est expliquée par Foucault. C’est à dire ce que la société considère comme fou et qu’il conviendrait d’écarter d’une façon ou d’une autre : l’homo, l’hystérique, l’hérétique, le transgenre, etc. Et de la façon dont on les surveille et les punit : les geôles de l’inquisition, l’asile d’aliénés, la castration chimique comme alternative à la peine de prison et enfin l’isolement total parmi les nouvelles formes de coercition actuelles.

 

Avec Camille Claudel, on aborde directement le thème de la folie ?

Camille Claudel a eu de vraies crises de folie à un moment de sa vie. Elle a détruit toutes ses œuvres dans un délire paranoïaque après que Rodin l’eut quittée. Elle ne se lavait plus, etc. Quelques années après son internement forcé, les médecins écrivent à la famille Claudel que Camille est guérie mais ils refusent de venir la reprendre. C’est difficile à comprendre. Paul Claudel outre son activité littéraire était diplomate et voyageait beaucoup, il n’avait pas le temps, et ne voulait sans doute pas s’encombrer d’une sœur instable, même s’il l’aimait beaucoup et admirait son travail. Elle était plus âgée que lui et l’avait aussi aidé à découvrir la poésie (ce qui est évoqué dans le spectacle par un échange de lettres sur la poésie de Rimbaud).

J’aimerais aussi rapprocher Camille Claudel et sa folie de celle de Lady Macbeth, son personnage favori chez Shakespeare.

 

Sur le plan formel, entre chaque scène qui évoque une figure différente, il y a comme un glissement, un passage de témoin entre les personnages ?

Oui, et l’étape de travail à la Chartreuse a confirmé que l’idée d’un glissement d’une scène à l’autre et d’un personnage à l’autre fonctionnait bien, même sur le plan sémantique.

Par exemple, à un moment, Chelsea Manning lit un texte de Carl Sagan, l’astrophysicien sur le « Pale Blue Doth ». C’est la photo la plus lointaine prise de la terre dans les années 2000. La terre y est un minuscule petit point, comme un pixel. Elle l’envoie à Adrian Lamo en lui disant à quel point cette image résume tout pour elle. Cette scène fait directement écho aux idées de Giordano Bruno sur notre place dans l’univers. Bruno que je vois aussi comme un second Hamlet, cet homme maniériste, mélancolique qui comprend la vanité humaine. (D’ailleurs Shakespeare connaissait les écrits de Giordano Bruno et Prospero dans La Tempête serait une référence directe à Bruno).

J’essaye aussi de faire un parallèle entre les destins des personnages qui vont se rejoindre à certains moments. Par exemple à travers les procès qu’ils ont tous subi sauf Camille Claudel.

Ces 4 figures se rejoignent pour devenir une sorte d’image universelle et intemporelle de la contestation. Les différents tableaux vont donc glisser de l’un à l’autre, et les bordures temporelles et spatiales deviendront de plus en plus mouvantes. Cela me paraît intéressant théâtralement et narrativement.

J’ai d’abord écrit des blocs très séparés, et maintenant je tente de les fondre les uns dans les autres, comme dans La Ronde de Schnitzler qui était une de mes premières intuitions dramaturgiques.

 

Codebreakers / Vladimir Steyaert / interview

 

Tu parlais d’un langage spécifique pour chacune des figures de Codebreakers ?

Oui, par exemple le langage de Bruno, c’est la parole : mais c’est celui pour lequel j’ai le plus de mal ; il est très prolixe et adore la polémique et les débats d’idée. Or, le débat d’idées au théâtre, peut être perçu comme ennuyeux aujourd’hui. Il faudra que je trouve une autre façon de le faire passer.

Bradley / Chelsea Manning chate, et on pourra voir évoluer sa relation virtuelle avec Adrian Lamo. Il y a une relation de séduction entre eux. Ils se draguent notamment en devenant amis sur Facebook. On verra donc concrètement se dérouler leurs statuts facebook et leurs commentaires respectifs.

Alan Turing, on le perçoit par des chiffres et des théorèmes, mais il parle aussi à des objets, à son ours par exemple et avec tout son univers d’enfant, très réel pour lui. On peut donc imaginer des discussions entre des jouets, pour raconter des choses plus complexes, comme la guerre.

 

[1] Folie et déraison. Histoire de la folie à l'âge classique est la thèse majeure du doctorat d'État et le premier ouvrage important de Michel Foucault, 1972 , qui y étudie les développements de l'idée de folie à travers l'Histoire.

 

Propos recueillis par Cécile Michel
Le 2 avril 2019

 

Codebreakers / Vladimir Steyaert / interview

© Gloria Scorier