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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Article

Pourquoi nous battons-nous ?

MàD¹⁺²
Parce que les MàD, comme les Mots à Défendre, c’est une question : pourquoi nous battons-nous ? inspirée du film Why we fight? de Alain Platel et Mirjam Devriendt proposé par les autrices associées au festival et au Théâtre National Wallonie-Bruxelles Caroline Lamarche et Joëlle Sambi.
Parce que témoigner de son combat, c’est reconnaître que le combat est fondateur. Nous avons demandé aux artistes qui habitent les MàD¹⁺² : pourquoi nous battons-nous ? Beaucoup nous ont répondu. Leurs réponses sont brutes et douces à la fois. Les mots nous libèrent… avec ell·eux.
© Cassette for timescapes

Pour choisir ­– garder la joie – rester éveillée.

— Anne Alvaro, actrice de théâtre & cinéma

 

Pour que des choses soient dites, pour que parfois dire ce soit faire, pour essayer de cesser de taire, et de faire taire, pour chanter.

— Jeanne Balibar, actrice, autrice, metteure en scène, chanteuse

 

Pourquoi nous battons-nous ?

Parce qu'on n'a pas vraiment le choix. Essayez de rentrer chez vous, à pied, en Drag, à 03h du matin, vous verrez que ce n'est pas toujours une expérience relaxante.

Et je ne parle pas seulement de l'équation : talons hauts + trottoirs pavés = fracture imminente...

— Peggy Lee Cooper, artiste Drag Queen

 

Nous nous battons pour être dans les temps, nous nous battons pour l'enfant, nous nous battons pour le souffle, nous nous battons pour l'immobilité, nous nous battons pour nous joindre, nous nous battons pour le rire, nous nous battons pour le mouvement, nous nous battons pour l'illimité, nous nous battons pour le bruissement des étoiles, nous nous battons pour nos échecs, bref nous nous battons pour le Rien ténu du chant des oiseaux.

— Serge Demoulin, comédien & metteur en scène

 

Je souhaite simplement citer Sihame Haddioui : la dignité sinon rien. On se bat pour la dignité sinon rien.

— Claire Olirencia Devillepoétesse & romancière

 

POUR
NE PLUS SURVIVRE
QUE NOS CORPS
JUGÉS
DEMEMBRÉS
VIOLENTÉS
RESPIRENT

QUE L’HISTOIRE
ENTENDE
NOS
(h)ISTOIRES

DÉPLACEZ
VOS REGARDS
POSÉS DEPUIS
TROP
LONGTEMPS
SUR LA MÊME
IMAGE

QUE NOS VOIX,
FATIGUÉES
EXTÉNUÉES
SE REPOSENT

QUE RÉPARATION
SOIT FAITE

ETRE FIÈRE

NOUS
RENDRE
LÉGITIMITÉ
DIGNITÉ

— Consolate, autrice par nécessité & performeuse/survivante de ma vie

© Droits réservés

Pour quoi nous battons-nous ? Pour que quelque chose arrive plutôt que rien. Pour que nos vies ne soient pas uniquement le résultat de contraintes et de systèmes, pour que nous puissions agir au-delà de nous-mêmes, et désirer ce que nous accomplissons. Pourquoi nous battons-nous ? Pour que ça ait un sens, pour tracer une ligne de joie arrachée à chaque jour. Pourquoi nous battons-nous ? Pour créer des possibles et témoigner du monde et de la vie que nous voulons avoir, collectivement. Pourquoi nous battons-nous ? Pour créer ce petit espacement qui desserre l’étau et qui crée le jeu entre les pièces ainsi libérées. Pourquoi nous battons-nous ? Pour la beauté du geste, toujours.

— Rachel Dufour, metteuse en scène & comédienne

 

Pour l’indépendance et la liberté des chercheur·ses, pour que le savoir ne soit pas une idéologie mais donne de la profondeur à la réalité vécue et nous oblige à penser le monde de façon critique et positive.

— Vanessa Frangville, professeure en études chinoises

 

Pour que les livres, la poésie et la littérature sous toutes ses formes aient de l’importance dans la vie des autres.
Pour que tous·tes aient une vie poétique.
Pour que la poésie, à la fois singulière et plurielle, rayonne et nous accompagne dans nos révolutions intérieures.

— Mélanie Godin, éditrice & réalisatrice radio

 

Nous nous battons parce que « nous » est fragile et inconstant.
Qu'il a besoin de nouveaux « je » qui le désirent fermement et le pénètrent humblement.
Qu'il a besoin d'inventer ses formes, d'être vu dans sa singularité et respecté dans sa multiplicité.
Nous nous battons pour fabriquer un « nous » assez solide pour lutter contre un système brutal et tentaculaire.
Où les désignations « nous » et « eux » ne suffisent pas, où les démarcations sont parfois minces, souvent contextuelles et rarement manichéennes.
Je ne sais pas toujours pourquoi nous nous battons mais je sais pourquoi et avec quel « nous » je me bats.
Et ce n'est pas pour un « nous » qui veut être du bon côté, Non.
c'est un « nous » de la tentative, de l'échec, de la réussite, de l'apprentissage, de la remise en question et de la prise de responsabilité.
Et le « nous » que j'ai choisi, tente au quotidien de lutter pour enrayer ce système capitaliste, colonialiste et patriarcal qui « nous » tue, en choisissant quels « nous » mourront en premier.

— Law, auteur·ice, interprète, slameur·se / rappeur·se

 

Peut-être que je ne me bats pas assez. Mais je voudrais me battre pour que mes enfants aient devant eux un monde moins désespérant et parfois je ne sais plus comment alors j’ai peur. Je me bats à ma manière pour que le fragile, l’incertain, le maladroit puissent créer des moments à la fois éphémères et éternels, pour que le tremblement d’un arbre, le son d’un animal, l’intensité d’un regard mais aussi la chaleur et la force d’une parole soient reconnus comme essentiels. J’ai envie, oui, à travers mon drôle de métier de me battre en douceur pour une société et un monde qui accordent plus d’importance au vivant, à la beauté de l’immédiat et de l’imperfection. Dans Frou-Frou des êtres ordinaires et différents vivent une rencontre extraordinaire. Alors oui, en disant les mots de Caroline, j’ai la sensation d’être un peu « utile ».

Gaëtan Lejeune, acteur & porteur de projets

 

Nous nous battons parce que panière pleine de linge sale. Nous nous battons parce que analyse des data. Nous nous battons parce que nouvelle série Netflix. Nous nous battons parce que marché des terres rares. Nous nous battons parce que vidéo de chaton. Nous nous battons parce que réduction de 30% sur les vélos électriques. Nous nous battons parce que teinture Strawberry blonde. Nous nous battons parce que congrès de prothésistes dentaires. Nous nous battons parce que préparation culinaire à base de soja. Nous nous battons parce que leadership du chef de projet. Nous nous battons parce que ARN messager. Nous nous battons parce que fragilité blanche. Nous nous battons parce que pacte de solidarité. Nous nous battons parce que carte de fidélité IKEA. Nous nous battons parce que faucon crécerellette. Nous nous battons parce que grand débat national. Nous nous battons parce que clown au chômage. Nous nous battons parce que mise à jour du système d’exploitation. Nous nous battons parce que Seigneur miséricordieux. Nous nous battons parce que Cyril Hanouna. Nous nous battons parce que frappuccino vanille. Nous nous battons parce que enterrement de vie de jeune fille. Nous nous battons parce que élevage intensif de cochons. Nous nous battons parce que procès en comparution immédiate. Nous nous battons parce que moule à cup cake en silicone. Nous nous battons parce que benchmarking des coûts informatiques. Nous nous battons parce que prochain album de Rosalía. Nous nous battons parce que avocat provenance Pérou. Nous nous battons parce que réponse automatique. Nous nous battons parce que bout de fromage moisi au fond du frigo. Nous nous battons parce que frêle embarcation. Nous nous battons parce que ChatGPT. Nous nous battons parce que dernier avis avant expulsion.

— Joris Lacoste, auteur et metteur en scène

 

Pour comprendre, avancer,
donner une forme à la vie, au temps qui passe,
rendre visible les invisibles, trouver la joie.
Écrire.

— Caroline Lamarche, poétesse, novelliste & romancière

 

Je ne sais pas. Je ne sais plus quand ça a commencé mais je sais qu'à un moment il a fallu. Donc, d'une certaine manière, je me bat parce que je me suis battue et je continue pour pas être battue. Et à force tu sais plus quand c'est « vivre » et quand c'est « se battre »; alors tu le fais parce que tu le fais, tu fais ce que tu sais. J'y réfléchis rarement. Je me lève et j'y vais. Le plus souvent c'est comme ça.

— Laurène Marx, autrice trans non binaire & performeuse

 

Je me bats parce que si je ne me bats pas, je ne vois pas qui pourra le faire à ma place. Alors, mon stylo devient mon arme, les mots sont mes cartouches et à chaque fois que je prends la parole, j’appuie sur la gâchette et j’espère que mes balles vont toucher au moins une personne. J’espère que mes balles vont apporter la joie, nourrir l’espoir, provoquer un rire, composer des rêves, éveiller une conscience, inspirer une vocation, immortaliser le passage sur la terre de quelques êtres qui telles des étoiles doivent briller éternellement sur notre ciel. Je me bats parce que ma voix n’est pas que mienne, c’est autant ma voix que celle de ma grand-mère ou celle d’autres gens de ma génération, qui comme tous les humains veulent vivre et méritent de vivre une vie libre, une vie digne. Je me bats parce qu’il faut qu’il y en ait des ceux-là qui se battent car tellement de gens ont abdiqué avant même de commencer la bataille. Si je faisais pareil, que restera-t-il de nous ? de notre généalogie, de notre épopée, de nos rêves qui trop souvent prennent racine sur des sols austères. Je n’ai pas d’autres choix que de me battre.

— Do Nsoseme, poétesse & slameuse

 

Pour que nos corps n’oublient pas
même malappris, même mal armés
même marchandés, même détournés
le bout de la langue, le goût des ébats

— Aurélie Olivier, poétesse

 

Tout est violence.
Il y a une certaine indécence à demander la paix, à baisser les armes, à brandir le drapeau blanc et appeler à l’apaisement quand tout est violence. Nous nous battons hors et sur les scènes, petites et grandes, à coup de dents, à coup de mots, à tournures de phrase, en rangs serrés.
Je, nous, certain·es, la plupart d’entre nous n’a pas eu de réparation. Ni réparation, ni pardon, ni justice. Alors la plupart, certain·es, je, nous, nous battons. Parce que le respect s'exige et s’arrache, comme on déchire les pages d’une histoire écrite trop longtemps sans et contre nous, je, certain·es, la plupart…

— Joëlle Sambi, poétesse, slameuse, performeuse et metteuse en scène

 

POURQUOI NOUS BATTONS-NOUS ?
Pour Résister Protester Proposer S’exprimer
Pour aimer pour s'aimer

Pour sortir de la binarité, du capitalisme et du système patriarcal
Pour remettre l’honnêteté, la solidarité, la sororité et le courage au
centre de nos vies
Pour créer des réseaux de soutien féministes et intersectionnels
Pour mettre fin aux systèmes de hiérarchies et aux luttes de pouvoir
Pour transformer nos récits
Pour faire reconnaître l’intuition comme mode d’action
Pour se débarrasser de ce besoin de reconnaissance extérieure et apprendre
à nous traiter avec le même amour qu’on réserve aux autres
Pour que notre joie de vivre profite aux autres
Pour révolutionner les injonctions à « être »

Pour renverser
Pour déloger
Pour transformer
Pour rester vivant·es
Pour se sentir vivant·es

Pour donner des ailes à nos solitudes*

* Alejandra Pizarnik

— Fanny Sintès, metteuse en scène, comédienne & circassienne

 

Nous nous battons parce que tous nos autres mécanismes d’autoconservation* ont été moqués ou ignorés.

* autoconservation \o.tɔ.kɔ̃.sɛʁ.va.sjɔ̃\ féminin

— Maureen Vanden Berghe, esprit créatif

 

Nous nous battons contre les forces d'atomisation qui veulent que nous restions seul*es, car seul*es nous n'avons pas la force pour résister, alors pour les moments précieux de connexion qui nous nourrissent, qui nous rendent plus fort*es, et par le plaisir et le désir, et parce que nous voyons les prémisses d'un monde plus vivable, nous nous battons.

— RER Q, collectif d'autriX

 

Personnellement, je me bats pour faire entendre une voix positive de l’Afrique, c’est-à-dire maintenir la flamme de l’espoir dans le cœur de ceux qui ne bénéficient pas de l’égalité des chances. Je me bats pour contribuer à la survie de la liberté, sans laquelle l’humanité ne survivrait pas. Je me bats pour donner une voix de plus à la raison, afin qu’elle crie plus fort que la haine.

— MicroMEGA Le Verbivore, poète et slameur

 

Et comme cette question ne doit pas s’arrêter au MàD, ni à nous, nous vous demandons en retour : pourquoi nous battons-nous ? Ou encore, pour quoi nous battons-nous ? Pour qui nous battons-nous ? Nous vous proposons d’envoyer vos combats – 1 à 10 lignes maximum – en mentionnant vos prénom, âge et fonction à : sbotella@theatrenational.be, au plus tard le 30 mars 2023. Nous serons heureux·ses d’en publier certains.

— Entretiens réalisés par Sylvia Botella en janvier 2023

© Gloria Scorier