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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Édito

Irrésistibles

révolutions

Parce que ce qui nous entoure est un choc physique et intérieur pour nous tous·tes. Faisons-en quelque chose ! Considérons-le comme un point focal qui peut devenir point de joie !, arts, beauté affolante, liberté, justice sociale et climatique, ou égalité. À dire cela, nous mesurons immédiatement que ce n’est pas chose facile. Et combien il est tentant de se recroqueviller sur nous-mêmes dans des identités-cocons. Et penser en sens unique. 

Cherchons de manière très humble l’endroit où il est possible de déployer une grande sensibilité face à ce qui s’impose à nous, la culture du choc, les pensées de domination, les systèmes explicatifs brutaux, l’état d’agressivité permanent. Et transformer son corps pour faire résistance. Qu’est-ce que cela signifie du point de vue du temps et des espaces ? 

C’est dans le souvenir d’enfance de la cabane que se loge peut-être l’ampleur des possibles, de ce qui peut être et qui ne l’est pas encore. Lorsque l’on choisit de manière précise l’endroit qui ne clôture pas. Ou l’endroit perché, à la fois fixe et démontable. Ou encore l’endroit éclaté en terre, bois et tissus, qui joue sur les vides et les pleins, et les reflets de la lumière, autant de miroirs versicolores du ciel.

Le caractère enfantin n’en annule pas moins le caractère éminemment politique. C’est l’endroit d’ancrage et de passage vers les mondes ; l’endroit des expériences et de la création éphémère, et paradoxalement en permanente régénération ; l’endroit d’émission et de transit. Où l’on peut perdre du temps ; le temps à chercher, dans les racines et la lumière solaire. Où les suffocations se changent en souffles. Où l’on se laisse traverser par ce que l’on ressent, écoute et regarde à perte de vue sans être détruit·es. Où l’on contracte mieux ses sensations dans les paysages emboîtés. 

Aujourd’hui, la nature instable et imprévisible des démocraties nous oblige à nous demander en retour : comment parvenir à s’accrocher de manière vivante à toutes ces traces encore possibles, au désir imaginant, à la sensibilité, à la résonance et la clairvoyance ? C’est la question que se pose le Théâtre National à la fois en faisant voyager La cabane de saison – imaginée par les enfants dans le cadre du Projet de Cohésion Sociale du quartier bruxellois du Merlo accompagné·es par l'architecte Xavier Lelion et Recyclart Fabrik –, et en interrogeant en lui ce qui continue de résister et ce qui de lui a germé (ou non) par ses liens intergénérationnels avec les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles Isabelle Pousseur, Françoise Bloch, David Murgia, Vincent Hennebicq. Et puis, avec la présence de Anne Teresa De Keersmaeker et Solal Mariotte avec BREL, oui, la Belgique compte.

Répondre à cette question, c’est aussi pour Tiago Rodrigues, Mila Turajlić, Antoine Laubin, Patricia Allio ou Salim Djaferi, la volonté de voir à l’intérieur des multi-mémoires héritées pour résister contre l’effacement de la mémoire individuelle et collective. Ce qui fait advenir aussi les formes de résistance étendues au Congo, au Cameroun et au Liban, avec Michael Disanka et Christiana Tabaro, Zora Snake et Chrystèle Khodr. 

Plus que jamais, le théâtre est une longue-vue, et non pas un mur. à maints égards, le travail de Damien Jalet, Clément Papachristou et Gaël Santisteva réoxygène les imaginaires, rouvre les utopies. Jaillissement soudain de ce qui manque et nous manque en faisant vibrer les matériaux, les humains et les non-humains, et les regarder tels qu’ils sont. Et Ayelen Parolin, tout autant et plus encore, fait résonner, sur le grand plateau, une réelle perspective de saison. Une irrésistible révolution !

Quelque chose de nouveau prend corps chez Laurène Marx, Gisèle Vienne ou encore Israel Galván et Mohamed El Khatib. Le théâtre s’enracine dans les fictions-relations et les parcelles de vies. On s’y regarde en estime.

Ce que nous voulons, c’est : « se sentir, se savoir exister dans tout, s’en étonner sans fin, vivre avec, créer ainsi »*

Pierre Thys, Directeur général et artistique
& l’équipe du Théâtre National Wallonie-Bruxelles

 

* Patrick Chamoiseau

Théâtre National Wallonie-Bruxelles