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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Entretien

Des fois, on aimerait que tout soit pour de rire !

Léonard Berthet-Rivière & Muriel Legrand

Le Mystère du gant
Dans Le Mystère du gant de Roger Dupré, Léonard Berthet-Rivière y trouve la matière de sa première création. Avec Muriel Legrand, il bouscule le genre Vaudeville à table, parvenant, dans une belle complicité de jeu, à lui (re)donner ses lettres de noblesse.
© Noémie della Faille
Comment l’idée d’une collaboration ensemble a-t-elle émergée ?

Léonard Berthet-Rivière : J’ai rencontré Muriel à une audition.

Muriel Legrand : Nous nous sommes rencontrés à d’autres occasions.

LBR : Je suis allé voir jouer Muriel plusieurs fois au théâtre et je lui ai envoyé le texte du Mystère du gant.

ML : Lorsque Léonard m’a dit : « j’ai écrit un vaudeville ! ». J’ai ri. Écrire un vaudeville ?! J’ai trouvé l’idée formidable. J’ai ri en lisant le texte. Ce qui n’est pas peu dire … C’était un excellent début.

Léonard Berthet-Rivière, en quoi les rôles du Mystère du gant sont-ils à la mesure de l’actrice Muriel Legrand ?

LBR : Muriel a l’art du rythme. Je ne sais pas si les rôles sont à sa mesure mais ce que je sais c’est qu’elle donne aux rôles toute leur mesure ! Force est de constater sa joie de lire un vaudeville et de s’en emparer. Lorsque je lui envoie le texte Le Mystère du Gant de Roger Dupré, et qu’elle me répond le lendemain : « c’est très drôle, voyons-nous ! », je mesure ma chance car quelque chose se passe !

Muriel Legrand, en quoi les rôles de la pièce sont-ils à la mesure de l’acteur Léonard ?

ML : J’ai rarement joué avec un artiste qui écrit, qui joue, qui met en scène. Et qui d’une certaine manière m’incite à être au plus près de l’écriture.

Le cœur de la pièce, c’est le vaudeville qui est souvent considéré comme un genre mineur, extrêmement codifié : le théâtre de boulevard. Il se résume à la femme, le mari et l’amant. Pourquoi jouer dans un vaudeville en 2022 ?

LBR : Déjà parce que ce n’est pas un vaudeville qui peut se résumer à la femme, le mari, et l’amant. Il y a un docteur habillé en oiseau dans le Mystère du gant, par exemple ! Ce n’est pas rien ! Et il s’envole par la fenêtre, ce qui n’est pas rien non plus ! C’est un vaudeville absurde avant tout… Si j’emprunte certains codes en écrivant un pastiche, c’est par amour de ce que j’y ai trouvé, moi, dans ces textes.

Je ne sais pas si ce sont des genres mineurs. Feydeau, Labiche ont toujours été beaucoup joués, y compris à la Comédie-Française. Et Feydeau vient d’être publié aux éditions La Pléiade ! Peut-être que jouer dans un vaudeville va à l’encontre des tendances actuelles au théâtre ? Peut-être que si l’on suivait toujours les tendances actuelles, le théâtre deviendrait monotone ? Lorsque j’ai débuté l’écriture du Mystère du gant, je ne savais pas où j’irais. J’étais à l’endroit du plaisir d’écrire, de dérouler des situations comme si elles me revenaient en mémoire… Quand j’étais petit, je faisais partie d’une troupe de théâtre amateur et j’ai connu par cœur des textes de Ionesco, comme La cantatrice chauve, ou d’Alfred Jarry. Plus tard, j’ai lu Beckett, ce sont aussi ces auteurs-là qui me poussent à croire que derrière l’absurde se cache une certaine profondeur de l’existence qui nous échappe.

ML : Et puis surtout, faire rire, c’est bien ta première intention ! Non !?

LBR : Oui ! J’aime faire rire. Pour moi, c’est une politesse. C’est difficile d’expliquer ce qui fait rire au théâtre. On ne sait jamais vraiment comment le rire naît. Je crois très fort dans le fait que, lorsque dans le travail de mise en scène, une scène qui ne l’est pas se révèle comique, c’est qu’on touche à l’essence de son écriture. Bon, ça ne peut pas être vrai pour toutes les scènes de Racine, non plus !

ML : Le Mystère du gant ne se résume pas seulement au vaudeville ! C’est surtout un vaudeville à table, non genré : un acteur et une actrice jouent 13 personnages. C’est une gageure incroyable. Je suis tombé en amour pour Le Mystère du gant. Et Le Mystère du gant m’est tombé dans les bras. J’ai grandi dans le monde de l’opérette. D’une certaine manière, le genre vaudeville est aussi rentré en résonnance avec mon enfance. J’aime profondément ce genre théâtral que beaucoup considèrent « désuet ». Aujourd’hui, plus qu’hier, j’ai besoin de rire. Léonard aussi, me semble-t-il. Il recherche constamment cette politesse. Je la trouve essentielle. Elle me fait du bien. D’expérience, elle fait également du bien aux spectateurs et aux spectatrices.

LBR : J’aime entendre le public rire. C’est comme une sorte de machinerie qui s’enclenche.

ML : Ou pas (rires).

© Noémie della Faille
Vous faites le choix radical d’un dispositif épuré. Il y a une sorte de décalage entre la simplicité du dispositif scénique - vous lisez à table - et la complexité des ressorts comiques du vaudeville.

LBR : Dans Le Mystère du gant, il n’y aucun décor. Nous sommes à table. Nous jouons à deux tous les personnages, avec parfois quelques accessoires qui restent très rares et inattendus. Tout se noue dans l’imaginaire du public. Nous évoquions le caractère suranné du vaudeville, qui appartient peut-être au passé. Mais ce passé raconte aussi une histoire. Peut-être que l’imaginaire fonctionne, parce qu’il se reconnecte avec ses propres images du passé, où il trouve une forme de joie à goûter un projet désuet, où il retrouve un certain amour du théâtre ?

ML : Comme ceci, je vous montre : une porte claque. Voilà comment ça se passe. (Muriel Legrand mime le geste)

Qu’est-ce que le rire nous fait découvrir des personnages ?

ML : La finesse de leur esprit (rires).

LBR : Si nous rions, c’est parce que nous nous attachons très sérieusement à chacun des personnages, à leurs combats, leurs failles, leurs douleurs, leurs peurs.

ML : Je mets une moustache. Ce geste révèle quelque chose. L’écriture et le rythme révèlent également quelque chose. Il n’y a rien de psychologique là-dedans.

LBR : Nous cherchons ce qui nous amuse. Comme dans la vie, comme des enfants. Soudainement, Muriel me fait exploser de rire. Par exemple, lorsque la moustache tombe et qu’elle fait « ploc » ! Cette situation nous surprend, nous embarque. Nous essayons de la reproduire avec tout notre amour.

Dans le vaudeville, il y a l’intrigue. Elle se développe au fur et à mesure, elle est très rigoureuse.

LBR : L’intrigue est très importante. Raconter une urgence qui est peut-être une question de vie ou de mort pour les personnages, sans rien laisser passer.

D’ailleurs il faut que les personnages dits « secondaires » aient une vraie partition. Chantal Couchard participe à l’intrigue. Le personnage de Chantal ne décore pas même si elle est très décorative (rires).

ML : Alexandrine, aussi.

LBR : C’est l’esprit de sérieux qui est banni ! Enfin, j’espère.

ML : Ce n’est pas évident de rendre claire l’histoire de 13 personnages jouée à table, à deux ! Parfois, je lisais sans entendre, il y avait un petit projecteur sur cette zone-là. C’est une succession de petits éclairages et de débroussaillages pour rendre tout extrêmement clair. Ça va à un rythme…

Le rire nous met face à une dimension de notre existence qui peut être « immonde ». Est-ce qu’on peut rire de tout ?

ML : Oui. Mais pas à n’importe quel moment, ni n’importe comment, ni avec n’importe qui. Cela dépend d’où l’on parle, d’où l’on rit ? De qui, rions-nous ? Qui déclenche le rire ? Quelle est l’origine du rire ?

LBR : En tous cas, le rire, c’est l’endroit de l’apprentissage. Par le rire, j’apprends souvent quelque chose sur moi ! C’est une sensibilité, un échange. Le rire peut être « bienveillant ». Si c’est fait pour rire, c’est pour amener quelque chose de l’ordre de l’affect de la joie. Autrement, ça ne fait pas vraiment rire d’ailleurs. Chez Spinoza, les émotions sont rangées en deux pôles : les affects de joie et les affects de la tristesse. Et ce qui distingue ces deux pôles c’est la capacité qu’ils ont à augmenter ou à diminuer notre puissance. Je vous laisse deviner lequel de ces deux pôles augmente notre puissance ! Et j’arrête de parler comme Gilles Deleuze…

Il y a cette phrase de Molière que j’aime beaucoup aussi, qui dit : « Pour rire, il faut de l'intelligence, de la perspicacité. En riant, la bouche s'ouvre toute grande, mais aussi la cervelle, et les clous de la raison viennent s'y planter ! ».

– Propos recueillis par Sylvia Botella en février 2022.

© Noémie della Faille
Le Rideau de saison, Maak & Transmettre · photo : Lucile Dizier, 2024